Opérateurs des satellites américains GPS. © GPS.gov
Opérateurs des satellites américains GPS. © GPS.gov

L’imminence de frappes militaires américaines détectée à l’Observatoire royal de Belgique

9 juillet 2018
par Christian Du Brulle
Durée de lecture : 5 min

C’est une forme d’espionnage spatial bien involontaire à laquelle vient de se livrer l’Observatoire royal de Belgique. Les chercheurs du groupe TIME-IONO, qui s’intéressent notamment à certains rayonnements solaires, ont détecté, au printemps dernier, l’imminence d’une action militaire américaine en Syrie.

Eruptions solaires

« Nous ne nous intéressons bien entendu pas aux activités militaires », souligne le Dr Nicolas Bergeot, géophysicien à l’Observatoire. « Par contre, nous surveillons l’activité du Soleil, notamment ses émissions d’ondes radio. Elles peuvent causer dans certaines circonstances des interférences avec les signaux des satellites, par exemple. C’est en assurant ce suivi que nous avons détecté quelques perturbations dans les signaux du système de positionnement par satellites GPS, une technologie militaire américaine accessible en partie aux applications civiles ».

Petit rappel: le Soleil n’émet pas que de la lumière. Il produit aussi en continu des ondes radio, et ce dans toutes les fréquences. L’intensité de ces ondes radio fluctue dans le temps. Les scientifiques de l’Observatoire surveillent ces émissions radio, car, en cas d’éruption solaire (on parle de « solar flares » dans le jargon), elles peuvent perturber la qualité des signaux GPS, et donc rendre le positionnement moins précis.

Comportement inhabituel des satellites GPS

« Au mois d’avril dernier », explique Jean-Marie Chevalier, un des chercheurs de l’Observatoire spécialisé en modélisation et simulation numérique, « nous avons remarqué que la qualité des signaux du réseau GPS affichait un comportement étrange. À partir du 13 avril 2018 à 17h17, le signal L1 du GPS, c’est-à-dire la partie publique des signaux GPS, était quelque peu diminué. C’était comme si un regain d’activité du Soleil atténuait la qualité du signal ». En réalité, les chercheurs de l’ORB s’intéressent au rapport « signal sur bruit » des GPS.

« Pour tenter de confirmer que le Soleil était bien à l’origine de cette diminution de la qualité des signaux civils, nous avons regardé comment se comportaient les signaux « L2 » du GPS, soit la partie des signaux réservée aux militaires américains. Et là, surprise. Non seulement le signal L2 n’était pas atténué, mais au contraire il était très sensiblement augmenté. »

« En étudiant ces perturbations dans le détail, nous avons remarqué qu’elles ne duraient pas quelques minutes ou quelques dizaines de minutes, comme c’est habituellement le cas avec les éruptions solaires, mais bien plusieurs jours, ce qui est tout à fait inhabituel. Le retour à la normale dans les signaux du GPS n’étant en effet intervenu que le 17 avril à 15h30 UTC ».

Autre constat des chercheurs bruxellois: tous les satellites du système GPS ne semblaient pas être affectés de la même manière. Seuls les 19 satellites des deux dernières générations du système GPS affichaient cette différence de qualité dans leurs signaux.

Frappes militaires en Syrie

Perplexes, les chercheurs de l’Observatoire royal de Belgique ont pris contact avec les gestionnaires américains du système GPS afin de déterminer si ces perturbations étaient naturelles ou tout simplement humaines et volontaires.

« Nous avons signalé cette incohérence au gestionnaire américain du système GPS dès le 16 avril », précise le Dr Bergeot. « Ils nous ont répondu un mois plus tard, le 18 mai, qu’il s’agissait là d’un acte parfaitement intentionnel de leur part , mais sans livrer les moindres détails ni explications à ce propos. »

L’analyse qu’en font aujourd’hui les scientifiques de l’Observatoire royal de Belgique est des plus simples. Afin d’éviter des tentatives de brouillage du GPS avant une opération militaire, les Américains ont amplifié les signaux « L2 » utilisés par l’armée, ce qui a sans doute fait quelque peu chuter la qualité du signal  « L1 » civil. Un jeu de vases communicants dans ce cas qui pourrait s’expliquer par la puissance disponible sur chaque satellite, estiment les chercheurs.

Un signal militaire dopé à l’extrême entre le 13 et le 17 avril 2018, mais dans quel but? À l’Observatoire, on fait remarquer que des tirs de missiles américains ont été effectués dans la nuit du 13 au 14 avril, vers la Syrie…

Cet épisode surprenant de la surveillance scientifique des rayonnements solaires a également apporté une autre information aux chercheurs de l’Observatoire. Le GPS comme d’autres satellites de géopositionnement sont également utilisés pour la détermination du temps.

Le GPS temporairement plus précis de 2 nanosecondes

Le système GPS est à ce propos un tout petit peu moins précis que les autres réseaux de satellites. « Sauf pendant cet épisode du 13 au 17 avril 2018 », souligne le Docteur Pascale Defraigne, responsable du groupe TIME-IONO à l’Observatoire. « En amplifiant la puissance du signal L2 de leurs satellites, les Américains ont également permis d’obtenir une mesure du temps plus précise de l’ordre de deux nanosecondes », précise le Dr Defraigne. « Ce qui fut pour nous une surprise. Deux nanosecondes supplémentaires de précision, cela correspond à une différence de précision de localisation au sol du GPS de quelque 60 cm », conclut-elle. De quoi parler de frappes vraiment « chirurgicales » pour l’opération militaire du 13 avril?

 

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