Le télescope spatial Euclid de passage au Centre Spatial de Liège pour des essais sous vide en 2021 © CSL

Le télescope spatial Euclid sur les traces de l’énergie et de la matière noires

9 août 2023
par Camille Stassart
Durée de lecture : 5 min

Lancé le 1er juillet 2023, le télescope spatial de l’Agence spatiale européenne « Euclid » a pour ambition de produire la plus vaste et précise carte 3D de l’Univers. Celle-ci aidera la communauté scientifique à élucider l’une plus grandes énigmes de la cosmologie moderne : la nature de la matière et de l’énergie noires, qui constituent à elles deux 95% de notre cosmos. Les données recueillies par Euclid seront analysées par plus de 300 institutions scientifiques, parmi lesquelles on retrouve l’UCLouvain, l’ULB, l’ULiège, l’UGent et l’UNamur.

Points de Lagrange © NASA-WMAP-Science Team

Une carte 3D d’un tiers de l’Univers observable

C’est officiel : Euclid est arrivé à bon port, rejoignant au point de Lagrange L2 les télescopes spatiaux Gaia et James-Webb. Les points de Lagrange, au nombre de 5, sont des positions de l’espace offrant un point d’équilibre aux engins spatiaux : une fois placés, ils ne bougent quasi plus. La particularité du point L2, situé à 1,5 million de kilomètres de la Terre, est de tourner le dos à la Terre et au Soleil, ce qui en fait un endroit privilégié pour scruter le cosmos.

De fait, Euclid aura pour mission d’observer des milliards de galaxies, situées jusqu’à 10 milliards d’années-lumière. L’objectif : cartographier un tiers de l’Univers observable, en présentant la forme, la position exacte et le mouvement de ces galaxies. Pour y parvenir, le télescope est équipé de deux instruments scientifiques innovants : une caméra spectrale VISible (VIS), qui prendra des images très nettes des galaxies, et un spectrophotomètre proche infrarouge (NISP), qui permettra d’établir avec précision leur distance.

« A côté, on pourra aussi compter sur le télescope spatial James-Webb, capable d’opérer des zooms, et qui nous permettra d’observer plus en détail certaines structures et objets dénichés par Euclid », fait savoir André Füzfa, professeur de mathématiques et d’astronomie à l’UNamur, et participant à la mission spatiale.

Image test prise par l’instrument NISP © ESA-Euclid- Euclid Consortium – NASA

Accélération inattendue de l’Univers

Cette cartographie sera utile aux scientifiques pour déterminer comment l’expansion de l’Univers a évolué au cours du temps, et saisir les propriétés des mystérieuses matières et énergies sombres.

Pour mieux comprendre ces enjeux, rappelons qu’il est établi depuis environ 100 ans que l’Univers est en expansion. En clair, l’espace entre les objets le composant (galaxies, amas…) enfle, ce qui conduit ces derniers à s’éloigner les uns des autres. Les scientifiques ont par la suite longtemps supposé que cette expansion finirait par décélérer. Pourtant, en 1998, des scientifiques américains – récompensés en 2011 par le Prix Nobel de Physique pour leurs travaux – ont mis en évidence, au contraire, que l’expansion s’accélérait. Et ce, depuis plusieurs milliards d’années.

Une découverte qui fit alors l’effet d’une bombe dans le milieu cosmologiste : « Cette accélération n’était pas du tout prévue par la théorie », indique le Pr Füzfa. « Pour expliquer ce phénomène, il a fallu introduire deux « ingrédients » au modèle cosmologique qui avaient jusqu’alors été discrédités : l’énergie noire et la matière noire.»

Ce que va observer Euclid © ESA

Une énergie invisible presserait le pas de l’expansion cosmique

Pour l’heure, il est estimé que l’Univers est constitué d’environ 70% d’énergie noire et 25% de matière noire invisibles (seuls 5 % de son contenu seraient donc de la matière visible). Si on ignore encore tout de leur nature, il reste possible d’en déduire leur existence en observant leurs effets.

La matière noire a ainsi un effet gravitationnel attractif sur la matière visible, tendant à rapprocher les objets les uns des autres. Elle agirait donc comme un frein à l’expansion de l’Univers. L’énergie noire, de son côté, a un effet gravitationnel répulsif sur l’Univers entier. « On est donc ici face à un effet d’antigravité ! Une idée qui aurait été apparentée à de la science-fiction il y a encore quelques décennies », assure le Pr Füzfa. Or, comme précisé, c’est cette énergie noire qui domine actuellement le cosmos. Elle inciterait donc à accélérer son expansion.

Image test prise par l’instrument VIS © ESA- Euclid – Euclid Consortium – NASA

Quel impact sur l’évolution de l’Univers ?

Pour mieux comprendre les propriétés de cette énergie et matière noires, les chercheurs tenteront, à l’aide d’Euclid, de caractériser leurs effets sur l’expansion cosmique au cours des 10 derniers milliards d’années. « Quand on observe des galaxies situées à 10 milliards d’années-lumière (c’est-à-dire 10 milliards d’années dans le passé), on commence à pouvoir mesurer cette énergie noire. Avant cela, c’était la matière (y compris la noire) et la radiation, qu’on retrouvait en majorité. Cela s’inverse il y a environ 5 milliards d’années.»

A l’UNamur, André Füzfa et ses collègues s’intéresseront à l’impact de l’énergie sombre sur la formation de populations de ces galaxies. En parallèle, ils se pencheront, en collaboration avec des scientifiques de l’UCLouvain et de l’ULB, sur certaines « tensions » dans le modèle cosmologique, à savoir des résultats incompatibles. « Quand on compare certains paramètres, certaines choses ne collent pas. En disposant d’une histoire de la formation des galaxies, on espère pouvoir lever certaines tensions. »

Opérationnel pendant au moins six ans, il est à parier que le télescope Euclid et les observations qu’il permettra bouleverseront nos connaissances sur l’Univers et sa dynamique.

Haut depage