Charles Debois (UNamur).
Charles Debois (UNamur).

Des chênes plutôt que des épicéas pour sauver les forêts wallonnes

9 novembre 2018
par Christian Du Brulle
Temps de lecture : 6 minutes

Trous de perforation sur l’écorce avec expulsion de sciure et éventuellement écoulement de résine, roussissement des aiguilles, décollement ou perte de fragments d’écorces…

L’année a été catastrophique pour les épicéas en Belgique.  « Rien qu’au domaine d’Haugimont appartenant à l’Université de Namur et situé dans la commune de Gesves (Faulx les Tombes), nos épicéas ont souffert de trois attaques de scolytes depuis le mois de mars », indique Charles Debois, Ingénieur des Eaux et Forêts, et gestionnaire du domaine universitaire.

Ces arbres attaqués par le petit coléoptère doivent être abattus et évacués des parcelles contaminées dans les plus brefs délais. La Wallonie impose en effet que tous les arbres scolytés cette année soient évacués avant le 31 mars 2019 des massifs forestiers. Au risque sinon de voir l’épidémie reprendre de plus belle au printemps prochain.

Scolyte retrouvé dans l'écorce d'un épicéa.
Scolyte retrouvé dans l’écorce d’un épicéa.

Opter pour une essence plus en phase avec notre territoire

Charles Debois, qui gère le domaine forestier scientifique et didactique de l’UNamur depuis plus de 30 ans, n’est cependant pas désespéré. « Ces attaques massives de scolytes constituent une opportunité », estime-t-il. « C’est l’occasion pour les propriétaires de bois en Wallonie de revoir en profondeur leur mode de gestion. Plutôt que de se morfondre et replanter de l’épicéa après avoir évacué les arbres malades, pourquoi ne pas opter pour une essence indigène et mieux adaptée à notre climat? », suggère-t-il.

L’épicéa est une essence importée en Wallonie voici quasi deux siècles pour répondre à des besoins industriels. Mais c’est un arbre boréal s’épanouissant dans un environnement frais et arrosé, comme en montagne. « En Wallonie, les hauteurs ardennaises répondent à ces critères. Plus bas, comme du côté de Gesves, où l’altitude flirte avec les 200 mètres, il souffre de la sécheresse et de la chaleur », précise-t-il. « Cette année nous en a donné un excellent exemple ».

Epicéa victime des scolytes.
Epicéa victime de scolytes.

En province de Luxembourg, le constat est identique. «  Les épicéas qui se trouvent en Gaume, à maximum 300 mètres d’altitude, se portent moins bien que ceux qui ont été plantés plus haut sur le plateau ardennais. Quelques degrés de différence et un apport plus important d’eau expliquent leur meilleure santé en altitude», indique l’ingénieur forestier Marc Ameels, attaché « Natura 2000 » à la direction d’Arlon du DNF (Département de la Nature et des Forêts).

Sans se prononcer sur le fond de la proposition formulée par l’ingénieur de l’UNamur, il concède que clairement, il faut se poser la question de fond en ce qui concerne la pertinence de continuer à planter de l’épicéa en dessous de 300 mètres d’altitude en Wallonie . « Quand on plante un arbre, c’est pour l’exploiter plusieurs dizaines d’années plus tard. Avec le réchauffement climatique, on peut craindre que des années telles que celle que nous venons de connaître deviennent plus fréquentes ».

Ramassage de glands dans les bois du domaine d'Haugimont (UNamur).
Ramassage de glands dans les bois du domaine d’Haugimont (UNamur).

Le chêne à la rescousse

Dans le Namurois, au domaine d’Haugimont, Charles Debois donne l’exemple. « Cette année a aussi été exceptionnelle pour le chêne », montre-t-il dans une parcelle. « La production de glands est très importante. Remplaçons donc les épicéas évacués des parcelles scolytées par des chênes mieux adaptés à nos contrées. Et ce à coûts minimes, en plantant tous les deux mètres des glands ramassés dans la forêt ».

« L’opération peut être réalisée en famille, avec un groupe de scouts ou encore d’élèves. C’est didactique et instructif. Dans un trou de 5 centimètres de profondeur, on sème trois glands, en ligne, et tous les deux mètres. Pour un hectare cela représente 2.500 trous ».  Coût de l’opération ? Zéro, ou presque. Un « investissement à comparer aux milliers d’euros nécessaires à la plantation de jeunes épicéas sur une parcelle qu’il faut aussi « nettoyer » mécaniquement avant cela.

Place à la futaie jardinée mélangée

« L’action est didactique et efficace », assure-t-il. Pour convaincre, il ouvre ces jours-ci les portes du domaine aux volontaires pour une opération du genre.

« Cette démarche citoyenne est d’autant plus intéressante si ensuite on gère ces parcelles sous forme de futaie jardinée mélangée », précise-t-il. Car cela donne aussi de bons résultats. La preuve à… Haugimont, où certaines parcelles sont gérées de la sorte depuis des dizaines d’années avec bonheur.

Récolte de glands.
Récolte de glands.

« Les personnes qui participeront à notre action cet automne auront le plaisir de pouvoir suivre l’évolution de leur forêt au fil des années qui viennent, souligne encore l’Ingénieur des Eaux et Forêts. Les bois du domaine d’Haugimont sont en effet accessibles au public ».

Le reboisement, par semis de glands et de faînes récoltés au sol, sera une première en Wallonie, et, pour l’UNamur, un exemple à donner pour la forêt wallonne.

La préservation et la gestion originale et durable depuis 40 ans des espaces naturels du domaine d’Haugimont lui ont valu, en 2016, de décrocher le Prix de l’Environnement Wallonie-Bruxelles (Prix Baillet-Latour).

Le Domaine est constitué de biotopes diversifiés : bois, étangs, mares, rivière et ruisseaux, vieux vergers, prairies entourées de haies…

D’une superficie totale de 360 ha répartis en 2 blocs (241 ha + 119 ha), Haugimont accueille quelque 295 ha de bois sont gérés selon les principes de la sylviculture proche de la nature (PRO SILVA). 216 hectares sont composés de futaies de chênes, hêtres, frênes, érables merisiers et 52 ha de résineux dont 18 ha d’épicéas.

Domaine d'Haugimont
Domaine d’Haugimont
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