Dirigée par Andrea Rea, professeur émérite de sociologie à l’Université libre de Bruxelles (ULB), une équipe de chercheurs dénonce «Les inégalités sociales et de santé» des mesures pour lutter contre la pandémie de Covid-19 en Belgique, au Canada et en Suisse. Les Éditions de l’Université de Bruxelles publient ces contributions pluridisciplinaires et internationales.
«Basé sur des données originales, l’ouvrage apporte également un éclairage comparé utile sur les politiques de santé publique et celles socio-économiques mises en œuvre pour gérer cette crise», précise le Pr Marius Gilbert du Laboratoire d’épidémiologie spatiale de l’ULB.
Des décisions en pagaille
En Belgique, la complexité institutionnelle a alourdi la gestion de la pandémie. Moins de pouvoirs ont été délégués aux institutions en prise avec les spécificités régionales et locales. Présente aussi en Suisse, cette hypercentralisation des décisions politiques n’a pas été observée au Canada.
L’expérience canadienne a démontré l’efficacité des gouvernements locaux «pour réduire substantiellement les taux de pauvreté pendant la pandémie», souligne l’étude. «Sans affecter de façon significative l’économie du pays». En Suisse, la pandémie a agi comme un puissant vecteur d’inégalités sociales et économiques.
La prévention n’a pas été prioritaire en Belgique. Des arrêtés ministériels en pagaille ont privilégié le recours aux sanctions pénales. «En région bruxelloise, les contrôles discriminatoires du respect des normes Covid-19 ont renforcé les inégalités entre citoyens devant la loi pénale. Dans un contexte de surveillance accrue.»
Tensions intrafamiliales
«Les effets combinés des politiques sanitaires, économiques et migratoires au niveau fédéral ont nourri des processus d’invisibilisation et de précarisation des conditions de vie des personnes sans titre de séjour. La Région bruxelloise a participé à contrebalancer ces politiques en finançant et en soutenant la coopération intersectorielle. Selon une logique de sous-traitance de l’urgence sociale.»
Le télétravail et la scolarité à distance ont accru les tensions intrafamiliales. En particulier quand les parents travaillaient dans un métier essentiel, sans possibilité de télétravail. Les scientifiques ont observé une importante parentalisation des enfants aînés dans les familles monoparentales. Presque exclusivement pilotées par des femmes.
Au Québec, les résultats du projet Résilience montrent que «les enfants dont les parents ont éprouvé des difficultés à maintenir un équilibre travail-famille pendant le confinement étaient plus à risque de rencontrer certaines difficultés académiques et des symptômes de problèmes de santé mentale. Les enfants dont les parents ont souffert d’anxiété ou de dépression pendant la pandémie étaient plus susceptibles d’avoir des performances académiques en deçà des attentes. Et des symptômes de santé mentale plus élevés.»
L’accès aux données
Les chercheurs déplorent l’accès – souvent complexe, rigide et parfois coûteux – aux données administratives, sociales et de santé. La crise sanitaire souligne l’importance de ces éléments pour assurer le pilotage des mesures collectives. Permettre l’amélioration des soins. Faire avancer les connaissances scientifiques.
«Au-delà des nombreux débats autour de l’accès aux données de santé en Belgique, les recherches portant sur les inégalités sociales de santé doivent avoir accès aux données cliniques ou de surveillance. Mais aussi à des données sociales sensibles, comme le pays de naissance, les revenus et le recours aux aides sociales. La collection et le croisement des données de santé et sociales en routine doivent être un choix politique afin de pouvoir mesurer les inégalités sociales de santé. Et proposer des mesures permettant de les réduire.»
Favoriser le couplage
Le couplage systématique des données n’existe pas en Belgique, au Canada et en Suisse. Des couplages des données médico-administratives ont été réalisés pour la première fois en Belgique dans le cadre de projets de recherche. Arrivés tardivement en 2023 à cause de la complexité du couplage, «les résultats ont montré un gradient social de santé pour le Covid-19 qui reflète celui des maladies respiratoires prépandémiques». Ce taux de variation a été plus prononcé chez les groupes les plus défavorisés. Et s’est accentué entre les deux premières vagues de Covid-19.
Le cadre opérationnel de l’Agence belge des données de santé HDA est conçu pour s’aligner sur l’Espace européen des données de santé EHDS (European Health Data Space) qui vise à mieux utiliser les données de santé des citoyens. À appliquer les futures initiatives garantissant une conformité continue aux exigences juridiques européennes.