Au matin du 10 avril 2020, la mission BepiColombo, en route vers la planète Mercure, a survolé notre planète. C’était la dernière fois que nous voyions la sonde de l’agence spatiale européenne (ESA) depuis la Terre avant que le vaisseau ne pique en direction de l’intérieur du système solaire. Avec son équipe, le Pr Bernard Charlier se prépare d’ores et déjà à analyser la moisson de données qui devraient être collectées dès fin 2025.
Percer les mystères de l’origine de Mercure
Ce chercheur qualifié FNRS au sein du département de géologie de l’ULiège, travaille sur l’origine des planètes à travers les magmas. C’est-à-dire tout ce qui est produit par la fusion des roches. L’humanité ne disposant pas d’échantillons de Mercure, le scientifique reconstitue, au sein de son laboratoire de pétrologie, les roches potentiellement présentes dans les 500 premiers kilomètres sous la surface de cette planète.
Pour se faire, il fait chauffer de petits volumes de roches dans un four dont la température grimpe jusqu’à 2000°C, combiné avec une presse dont la pression maximale est de 4 Giga Pascal. Soit des conditions proches de celles qui règnent à la limite entre le manteau et le noyau de Mercure.
« Après avoir synthétisé ces analogues de roches mercuriennes, nous les soumettons à des conditions de hautes températures et de pression pour comprendre leur évolution à l’intérieur de la planète et leur cristallisation », indique Pr Charlier.
Pour recréer les conditions présentes sur cette planète et la composition des roches qui la composent, le chercheur se base sur les données spectroscopiques collectées par Messenger, septième mission du programme Discovery de la NASA. Cette mission s’est étalée de mars 2011 jusqu’au 30 avril 2015, date à laquelle la sonde s’est crashée à la surface de Mercure.
« A travers les mesures qui vont être faites par BepiColombo dès fin 2025, nous voulons comprendre son origine, sa structure interne, sa composition à la surface. Identifier en quoi elle est différente des autres planètes du système solaire. Et envisager ce que l’étude d’un cas spécifique peut apporter comme information sur l’évolution globale de notre système solaire », poursuit-il.
Des études préparatoires menées au laboratoire
Le Pr Bernard Charlier et son équipe s’affairent déjà à préparer l’exploitation des données qui seront récoltées par BepiColombo.
« Nous faisons des études préliminaires à ce qui va être mesuré par le satellite. On cherche à comprendre le comportement de différents éléments, par exemple le titane, sur Mercure et en quoi cette donnée va nous aider à comprendre la structure interne de la planète. Ainsi, lorsque nous aurons les mesures, nous serons prêts pour les utiliser et les interpréter. »
« Notre démarche préparatoire permet aussi de calibrer les instruments. Sur BepiColombo, il y a un spectromètre à infrarouge qui mesurera la minéralogie à la surface de Mercure. Pour pouvoir interpréter les spectres, il faut faire des mesures préalables en laboratoire afin d’identifier le spectre de tel minéral, mais aussi celui de mélanges particuliers et de mélanges altérés par les conditions de surface très chaudes. » N’oublions pas qu’à la surface de Mercure, la température varie de -150°c la nuit à … 450°C le jour.
La surface de Mercure étant potentiellement volcanique, il y a sûrement du verre, dans des états de cristallinité variables. En déterminer les spectres au préalable est un grand gain de temps.
Un accès à toutes les données de tous les instruments
BepiColombo est une ambitieuse mission européenne et japonaise. Dès le début des années 2000, des groupes de scientifiques se sont associés avec des ingénieurs pour développer des instruments. Les premiers ont dit ce qu’ils voulaient mesurer et les seconds ont trouvé comment le faire. Pour chacun des 16 instruments embarqués sur la sonde, il y a un scientifique responsable. Chacun d’entre eux aura la priorité sur les données qui émaneront de leur instrument.
Le Pr Bernard Charlier fait partie des « interdisciplinary scientists » choisis par l’ESA l’an dernier. Ils ne sont que trois en Europe à avoir obtenu ce ticket d’entrée qui permet d’avoir accès à toutes les données des 16 instruments de BepiColombo.
« L’idée est de combiner les différentes mesures données par chaque instrument pour aller plus loin que ce que peut faire un seul instrument », explique le Pr Charlier.
Une multitude de données nouvelles vont être collectées
Les spectromètres embarqués ont une bien meilleure résolution que ceux de Messenger. Le champ des éléments chimiques mesurés va pouvoir être élargi et les résultats seront plus précis.
Alors que Messenger avait une orbite elliptique, celle de BepiColombo sera plus circulaire et plus proche de Mercure. Messenger n’a ramené que très peu d’infos sur l’hémisphère sud, la sonde européenne va fournir, quant à elle, une cartographie complète de la planète, avec une résolution équivalente pour chacun des deux hémisphères.
De multiples ellipses pour atteindre Mercure
Le périple entamé en 2018 par Bepi-Colombo s’étale sur sept années. Avant d’atteindre Mercure, l’engin aura recours à neuf assistances gravitationnelles. Outre le survol de la Terre du 10 avril 2020 à environ 12.700 km d’altitude, manœuvre qui doit ralentir l’engin et faire courber sa trajectoire en direction du centre du Système solaire, il est prévu deux passages à proximité (on parle de fly-by) de Vénus puis six au-dessus de Mercure. Le 5 décembre 2025, le satellite devrait enfin se mettre en orbite autour de Mercure, la planète la plus interne de notre Système solaire.