Que faire lorsque la production d’un parc éolien est plus importante que prévu ? Comment éviter qu’un réseau électrique auquel sont connectés des panneaux voltaïques ne surchauffe lorsque le temps est particulièrement beau ? En mettant les deux systèmes hors tension et en perdant cette énergie ? Évidemment pas !
La solution : laisser les commandes à une intelligence artificielle qui adaptera le système pour que l‘énergie produite soit utilisée la plus intelligemment possible sans aucune perte.
Des décisions compliquées
« Qu’il s’agisse des énergies renouvelables ou des centrales classiques, les réseaux électriques sont très grands et très complexes. En particulier à l’échelle d’un pays ou mieux d’un continent », explique le Dr Damien Ernst , professeur au département d’électricité, électronique et informatique à l’université de Liège (ULg).
« Des systèmes pour lesquels il faut être capable de prendre des décisions en temps réel. Pour une utilisation optimale mais aussi pour éviter les surchauffes, par exemple. Ces décisions sont bien trop compliquées pour être prises par un homme ou même plusieurs, tant les paramètres à prendre en compte sont nombreux».
C’est là que l’intelligence artificielle entre en jeu. Des super algorithmes d’intelligence artificielle qui doivent être développés par… des hommes !
Développer de tels algorithmes demande une connaissance pointue des réseaux électriques. Or les chercheurs capables de mettre au point de tels programmes ne sont pas forcément très calés dans ce domaine.
« Ce sont des problèmes très complexes impliquant des environnements très différents. Pour les résoudre, il faut être créatif, faire preuve de beaucoup d’imagination. Heureusement le type d’algorithmes utilisés pour les résoudre n’est pas uniquement utilisé dans les réseaux électriques. Ces algorithmes le sont aussi dans… les jeux vidéos ! Un domaine, en revanche, que les jeunes chercheurs en informatique connaissent souvent bien », s’enthousiasme le Pr Damien Ernst.
Partant de cette constatation, le professeur a décidé d’aborder le problème des réseaux électriques par le biais des jeux vidéos.
« Les problèmes étant similaires, les algorithmes développés pour l’intelligence artificielle des jeux vidéos ont de grandes chances de fonctionner dans les réseaux électriques».
Et si on jouait ?
En pratique, il s’agit de demander aux chercheurs de développer des algorithmes permettant d’améliorer la qualité de l’intelligence artificielle dans les jeux vidéos.
C’est-à-dire d’améliorer la manière dont un personnage se déplace, se bat et met en place une stratégie dans le cas des jeux de type World of Warcraft mais aussi la manière dont un adversaire joue au poker en ligne ou se déplace simplement dans un jeu comme Pac Man.
« Un jeu n’est autre qu’une collection de problèmes qui peuvent être résolus en codant d’une certaine manière des algorithmes de prise de décisions. Il faut que ces algorithmes prennent les meilleures décisions possibles à chaque instant en tenant compte d’une série de paramètres. C’est donc en faisant jouer les nouveaux codes développés que les chercheurs améliorent petit à petit les algorithmes de ces jeux. C’est un job de rêve pour ces chercheurs qui parviennent à allier recherche et gaming».
Des expériences peu coûteuses
Tester des algorithmes en partant des jeux vidéos est très bon marché : les chercheurs jouent sur une plateforme en réseau sur laquelle ils viennent implémenter leurs nouveaux algorithmes. Une expérience très simple et rapide à mettre en place.
« Et si le nouvel algorithme ne fonctionne pas, ce n’est pas grave puisque ça ne coûte rien ou presque. Imaginez ce que ça coûterait de développer ces algorithmes uniquement en se basant sur des retours d’expérience obtenus sur des « systèmes réels … Cette plateforme nous permet de faire une sélection des algorithmes les plus efficaces avant de les tester en conditions réelles».
Autre avantage du travail en réseau : il permet de comparer son algorithme à celui d’autres chercheurs.
« Comparer son travail à celui d’un autre permet de voir ce qui fonctionne mieux ou moins bien et de combiner ses résultats. C’est la meilleure manière d’obtenir un algorithme le plus parfait possible ! Cette manière d’aborder les problèmes d’intelligence artificielle par les jeux vidéos a vraiment changé la vitesse de développement de nouvelles intelligences artificielles, tout s’est considérablement accéléré. D’ailleurs plusieurs sociétés, comme la société Deepmind récemment achetée par Google pour 400 millions de dollars, travaillent de la sorte, c’est dire… »
Un champ d’applications très large
Les applications de ces travaux sur l’intelligence artificielle risquent bien de ne pas se cantonner aux réseaux électriques. En effet, ils pourraient être utiles dans tous les domaines où des prises de décisions trop complexes pour l’homme doivent être prises.
« En médecine, par exemple. Face à un cancer ou une maladie chronique, quel traitement donner à tel moment en tenant compte de tel ou tel paramètre vital ? L’idée n’est évidemment pas de remplacer les médecins mais de leur fournir un outil où toutes les informations importantes sont prises en compte : les médicaments existants, les probabilités de succès, l’âge, la tension, la génétique du patient, etc. »
« L’objectif ultime de recherches comme les nôtres est de créer de vraies entités intelligentes et autonomes qui dépasseraient de loin toutes les facultés cognitives d’un être humain », conclut le chercheur.