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L’innovation n’est pas que technologique, elle peut aussi être sociale

10 octobre 2019
par Laetitia Theunis
Durée de lecture : 6 min

La pauvreté et l’exclusion sociale touchent 17 % de la population européenne. A ce défi sociétal, s’en ajoutent d’autres : changements climatiques, raz-de-marée des technologies de l’information, fracture sociale et vieillissement de la population. Pour leur faire face tout en favorisant le mieux-être des individus et des collectivités, les espoirs se cristallisent sur les innovations sociales.

Germaine Tillion a donné son nom à un programme de recherche pionnier

« Nous avons besoin de changements qui améliorent le bien-être de notre société et permettent de rencontrer les défis économiques tout en respectant l’environnement. Favoriser les démarches de recherche et développement et d’innovation sociale en réponse aux défis majeurs de notre société, c’était l’objectif principal du programme Germaine Tillion », explique Ir Isabelle Quoilin, Directrice générale du SPW Economie, Emploi et Recherches.

Pre Francesca Petrella (c) SC/Olivier Giljean/SPW

Près de 9 millions d’euros pour l‘innovation sociale

Ce programme était le tout premier dédié exclusivement à cette thématique à être financé par la Wallonie. Entre 2013 et 2018, une enveloppe de près de 9 millions d’euros a été partagée entre 13 projets d’innovations sociales menés par des chercheurs d’universités et de hautes écoles.

L’innovation sociale, de quoi parle-t-on exactement ? « S’il n’y a pas de définition stabilisée, on peut toutefois dire que c’est un système d’innovation territorialisé, inclusif, participatif pour répondre aux besoins sociaux. Il peut être macro, micro ou structurel, produit par le secteur privé ou le secteur public, porté par un individu ou un collectif », explique Pre Francesca Petrella.

Après un doctorat en sciences économiques à l’UCLouvain, elle poursuit sa carrière de chercheuse au sein du laboratoire d’économie et de sociologie du travail de l’unité conjointe du CNRS et de l’Université d’Aix-Marseilles. Elle a fait part de son expertise et de ses réflexions lors du récent colloque de clôture du programme Germaine Tillon.

Les innovations sociales comme solutions à la crise

« En caricaturant, on peut dire que l’expression « innovation sociale » a été créée suite à la crise financière de 2008. Tout d’un coup, les partenaires publiques, de tous niveaux, ont souhaité trouver des idées brillantes et innovantes afin de sortir de la crise et de répondre à tous les besoins sociaux et sociétaux peu ou mal satisfaits par les structures existantes. Cela, en maîtrisant les dépenses publiques. Autrement dit, il fallait faire mieux avec moins de budgets. Des chercheurs se sont alors intéressés à la créativité du secteur privé pour développer ces nouvelles réponses aux besoins sociaux et sociétaux », analyse Pre Petrella.

« Cela s’inscrit dans une dynamique plus large où l’on se dit que tout baser sur le progrès technique n’est peut-être pas la meilleure solution. »

Innovations sociales versus innovations technologiques

Il a fallu attendre le manuel d’Oslo en 2005 pour reconnaître que l’innovation n’était pas que technologique, mais qu’elle pouvait aussi être sociale.

Trois grands points sont partagés par les innovations sociales et technologiques. Toutes deux cherchent à résoudre des problèmes. Après avoir identifié un produit ou un service plus ou moins en rupture avec l’état actuel des choses, elles demandent de définir une approche pour aller vers cette solution. Enfin, elles ont besoin que la population s’approprie cette innovation.

Quel partage sociétal de la valeur créée par les innovations sociales?

« A ces similitudes répondent un grand nombre de facteurs de différentiation, particulièrement sur la dynamique créée par les innovations sociales. Celles-ci reposent sur un apprentissage collectif et organisationnel. Elles supposent un enrôlement des parties prenantes et de multiples partenariats. Sur le terrain, il faut parvenir à piloter ces innovations impliquant une diversité d’acteurs. La gouvernance partenariale est primordiale.»

L’incitation de départ des innovations sociales est plutôt sociétale que liée au marché : elles sont faites pour et par la société. « Se pose aujourd’hui la question du partage de la valeur créée par les innovations sociales : comment retombe-t-elle sur la société ? S’agit-il vraiment d’un retour vers la société ?», interroge la spécialiste de l’économie sociale et solidaire.

Vers un changement sociétal issu d’un processus participatif

« Une innovation sociale n’a pas nécessairement de contenu technologique. A l’opposé, on entend souvent que telle innovation technologique a un impact social et sociétal important. Dès lors, est-ce de l’innovation sociale ? Pour le déterminer, on doit s’intéresser à la manière dont on est arrivé à ces innovations technologiques. Rares sont celles qui reposent sur un processus participatif. »

A noter également que les innovations sociales sont souvent le fruit d’incrémentations sur le terrain. Elles paraissent souvent banales, de faible ampleur, bien moins spectaculaires qu’une innovation technologique qui transcenderait le monde.

La finalité des innovations sociales, quant à elle, n’est rien de moins qu’une transformation sociétale. Ses objectifs étant multiples et hétérogènes, il est bien plus difficile de mesurer l’impact d’une innovation sociale que celui d’une innovation technologique à l’objectif unique et précis.

Moderniser les politiques publiques …

Du point de vue de la littérature, l’innovation sociale est utilisée de manière plurielle. L’équipe de recherche de Francesca Petrella en a identifié trois usages, lesquels peuvent se combiner entre eux.

L’innovation sociale est un outil de modernisation des politiques publiques. Le projet WISDOM, mené par l’UCLouvain et financé à hauteur de 583.000 euros par le programme Germaine Tillion, en est un bon exemple.

« Ce projet est parti du constat de la nécessité de repenser la question de l’accueil des personnes âgées en Wallonie. Le transfert vers les entités fédérées de certaines compétences liées notamment au financement des maisons de repos et de soins, dans un contexte budgétaire difficile, nécessitait de soutenir et de systématiser des propositions plus innovantes de prise en charge de la dépendance qui visent à maintenir les personnes âgées plus longtemps dans leur milieu de vie », explique Florence Degavre, professeure à la Fopes, Faculté ouverte de politique économique et sociale de l’UCL et chercheuse au Centre interdisciplinaire de recherche Travail-Etat-Société.

… jusqu’à restreindre leur engagement ?

Le but de cette recherche partenariale multidisciplinaire était d’analyser les innovations sociales dans l’accompagnement à domicile des personnes âgées en Wallonie. Mais aussi d’améliorer l’efficacité des politiques publiques en matière de soins à domicile en prenant en compte la réduction des budgets publics.

« L’interaction entre action publique et innovation sociale est délicate. Si elle peut encourager la créativité via des partenariats avec des acteurs privés, le risque est que l’innovation sociale se substitue finalement à des missions de service public. Il faut veiller à ce qu’elle ne soit pas instrumentalisée par les pouvoirs publics » , alerte Pre Francesca Petrella.

Un moteur pour l’entrepreneuriat social et un levier de transformation sociale

Dans la littérature, l‘innovation sociale est également vue comme un moteur de l’entrepreneuriat social avec une dimension individuelle ou collective. « Ce n’est pas juste une amélioration des services publics, il y a aussi une idée forte d’entreprendre des idées nouvelles. Il existe un lien solide entre entreprise sociale et innovation sociale », poursuit-elle.

L’innovation sociale peut aussi être considérée comme un levier de transformation sociale avec la participation élargie des acteurs.

Enfin, la littérature amène à réfléchir sur ce qui s’apparente à une controverse : quand on permet aux plus pauvres d’avoir accès à un marché, est-on dans l’innovation sociale ou est-ce juste une vision très large d’une nouvelle forme de coopération entre acteurs sur un territoire ?

 

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