Comment déterminer le nombre de personnes ensevelies sous les décombres d’un immeuble balayé par un tremblement de terre ? Comment évaluer le nombre potentiel de personnes menacées par une épidémie ? Ces deux situations sont certes très différentes. Mais elles se retrouvent cependant sur un point : le besoin crucial de disposer d’une cartographie actualisée des populations pour répondre à certaines situations d’urgence.
« Quand Pierre Deville, ingénieur en informatique et mathématiques appliquées et aspirant F.R.S. FNRS au département Technologies de l’Information et de la Communication, Electronique et Mathématiques appliquées de l’UCL et à la Northeastern University de Boston m’a parlé de ses travaux sur les appels téléphoniques, nos deux projets ont pris la même direction », explique Catherine Linard, géographe et chargée de recherche F.R.S.-FNRS au laboratoire de Lutte Biologique et Ecologie Spatiale (ULB).
Contrer les recensements de mauvaise qualité
Depuis des années, Catherine Linard travaille sur la thématique de la cartographie des populations. Un mélange de géographie et de mathématiques appliquées. Ensemble, les deux chercheurs ont imaginé un nouvel outil pour dresser ces fameuses cartes. Ils utilisent les appels téléphoniques des GSM pour établir des cartographies de population constamment mises à jour. Et cela marche !
« Pierre Deville et ses collègues m’ont expliqué que leurs travaux montraient une forte corrélation entre l’activation des antennes de téléphonie et la densité de population », explique Catherine Linard. « Rapidement, nous nous sommes rendus compte que leurs travaux pouvaient m’aider à établir des cartographies de population là où les données de recensement sont de mauvaise qualité, voire inexistantes », précise la géographe.
Les antennes de téléphonie mobile comme indicateurs
« Lorsqu’on passe un appel, il est relayé par l’antenne de téléphonie la plus proche de soi. On a donc une indication de la position de la personne au moment où elle téléphone », précise la scientifique. « De manière générale, le nombre d’appels relayés par une antenne donne donc une idée de la densité de population autour de cette antenne. Sauf qu’une seule personne peut passer plusieurs appels quand d’autres n’utilisent pas du tout leur GSM… Afin de pouvoir utiliser les données recueillies auprès d’une antenne, nous avons donc dû développer un algorithme mathématique tenant compte de plusieurs paramètres comme le fait que le nombre d’appels est plus important en ville qu’en zone rurale, par exemple ».
En pratique, il s’agit d’appliquer cet algorithme aux données collectées auprès d’une antenne-relais pour évaluer la densité de population à cet endroit.
Des tests concluants en France et au Portugal
Une fois leur algorithme développé, les chercheurs l’ont confronté à la réalité. Ils ont demandé aux opérateurs téléphoniques français et portugais de leur confier les données collectées par leur parc d’antennes-relais. « Pour ces deux pays, nous disposons de données démographiques très précises. Nous avons donc pu facilement se rendre compte que notre algorithme fournissait des résultats suffisamment précis. C’était une première étape.»
La seconde ? Répéter l’expérience en Namibie où l’on dispose également de données téléphoniques et démographiques. « L’objectif de cette nouvelle étude était de voir si notre algorithme tenait la route dans les pays africains où les habitudes peuvent être différentes. On sait par exemple qu’en Afrique il y a beaucoup plus de messages envoyés qu’en Europe. Nous allons donc vérifier la stabilité de chacun des paramètres et adapter notre algorithme en fonction. Il faudra d’ailleurs peut être que nous intégrions le paramètre message », continue la chercheuse.
Vie privée, mouvements de population et situation d’urgence
« La cartographie sur base des antennes-relais permet également d’avoir une idée des mouvements d’une population. Face à un virus comme Ebola, disposer de ce type de données est extrêmement intéressant », estime Catherine Linard. À l’heure où l’on est de plus en plus attentif à la protection de la vie privée, ce type de recherches peut inquiéter.
« Toutes les données que les opérateurs téléphoniques nous transmettent sont anonymisées, nous ne savons absolument pas qui a passé tel ou tel appel. D’ailleurs, les opérateurs restent assez réticents à l’idée de nous donner leurs données, ils font preuve de prudence afin de protéger la vie privée de leurs clients. La limite de nos travaux est dans l’obtention des données. L’idéal serait que les opérateurs passent un accord avec les gouvernements, afin de pouvoir disposer de ces données en situation d’urgence », conclut Catherine Linard.