Inventer ensemble une philosophie de la Justice

11 avril 2018
par Raphaël Duboisdenghien
Durée de lecture : 4 min

Sophie Klimis approche la justice philosophiquement dans «Penser, délibérer, juger» aux éditions De Boeck Supérieur. La professeure des Facultés de droit et de philosophie et lettres à l’Université Saint-Louis-Bruxelles s’adresse aussi bien aux étudiants du premier cycle universitaire, qu’aux enseignants et à un large public. La version numérique «Noto» est offerte à l’achat du livre. Elle permet de surligner, d’ajouter des notes. Et de les sauvegarder, les partager.

Agir comme les médecins

«J’ai cherché à exercer le jugement des lecteurs et lectrices en situation», explique l’ancienne chargée de recherches du Fonds de la Recherche Scientifique (F.R.S-FNRS). «Ce livre pourrait donc être appréhendé comme un pendant théorique aux cliniques du droit.»

"Penser, délibérer, juger", par Sophie Klimis, Editions De Boeck Supérieur, vp 22 euros.
« Penser, délibérer, juger », par Sophie Klimis, Editions De Boeck Supérieur, vp 22 euros.

La Pre Klimis invite juges et juristes à agir comme les médecins qui doivent apprendre, sur le terrain, à poser chaque fois un bon diagnostic.

«Ce bon diagnostic ne doit se réduire ni à une application mécanique de la théorie sur le corps de son patient, ni à un simple calcul de probabilités. De même, le juge, et plus largement tout juriste, doit apprendre l’art de penser par cas.»

La proximité de la médecine et du droit est éclairée par le choix du terme «clinique du droit» pour les initiatives qui permettent aux futurs juristes d’apprendre le droit en l’utilisant. Par le recours à des mises en situation pratiques lors de leur formation.

Le jury d’assises doit perdurer

Sophie Klimis a fait un séjour de recherches à la Columbia University de New York et à l’Université d’Ottawa. Elle a assisté aux audiences d’un procès civil jugé par un jury citoyen. Elle compare les univers, juridiques et philosophiques, anglophones et francophones.

L’analyse approfondie de la délibération à huis clos du film «12 hommes en colère» de Sydney Lumet lève le rideau sur les 3 actes de son livre: penser, délibérer, juger. Un des 12 jurés étatsuniens arrive à convaincre les autres à ne pas requérir la peine de mort contre un jeune homme accusé de parricide. Le jury donne sa vérité. Le film ne tranche pas sur la véracité des faits… En Belgique, l’institution du jury populaire est contestée, jugée peu fiable et trop coûteuse. On lui reproche de permettre aux citoyens de juger les crimes les plus graves…

«On peut considérer avec Benoît Frydman, professeur à la Faculté de droit et de criminologie de l’Université Libre de Bruxelles, que la justice est une affaire trop sérieuse pour la laisser aux seules mains des professionnels du droit. Le jury d’assises doit perdurer au sein d’une société démocratique. Précisément compte tenu des risques qu’il génère et non pas malgré eux. En effet, la société démocratique est intrinsèquement une société du risque, qui s’assume comme telle.»

Éduquer pour affronter les défis

La Pre Klimis a demandé à des étudiants en philosophie de donner, à brûle-pourpoint, leur définition de la justice en guise d’introduction à l’étude de «La République» de Platon.

Des réponses variées ont fusé. Rendre à chacun ce qui lui appartient. Définir la justice par son contraire, l’injustice. Toutes les tentatives de définir la justice sont centrées sur l’ego, sur un ressenti d’injustice par rapport à soi. Donner une définition, c’est enfermer la justice dans un cadre, la limiter. La justice est relative à une culture, à une époque. Elle vise à respecter le droit des individus. Elle n’existe pas, c’est quelque chose qu’on a inventé pour faire face aux situations d’injustice qui sont bien réelles…

«Ce panel de définitions s’est révélé d’une telle richesse que, d’une part, il s’est transformé en réflexion collective qui nous a occupés durant tout le cours. Et que d’autre part, il m’a semblé important de le restructurer en dialogue avec la tradition philosophique afin de le partager avec les lecteurs et lectrices de ce livre. L’idée de justice n’a rien d’une étoile fixe.»

Sophie Klimis insiste sur le lien entre «éducation» et «justice». «Il me semble plus que jamais d’actualité de le revendiquer. L’éducation, aujourd’hui, me paraît devoir être repensée en vue de développer les capacités de penser, de délibérer et de juger afin de permettre à chacun, mais aussi à la société dans son ensemble, d’affronter des défis majeurs et inédits dans l’histoire humaine. Défis qui se posent sur plusieurs fronts en même temps. Technologique, politique, écologique, éthique, existentiel.»

 

Haut depage