Jérôme Schruyers et un de ses prototypes de nez électronique © Christian Du Brulle

À Mons, les cartes électroniques ont du nez

11 avril 2025
par Christian Du Brulle
Temps de lecture : 4 minutes

Comment mieux surveiller la qualité de l’air d’un local, d’une usine, d’une cuve ? En multipliant les types de capteurs pour simuler le sens de l’odorat et concevoir un véritable « nez électronique ». C’est le projet de spin-off de l’Université de Mons sur lequel travaille Jérôme Schruyers depuis déjà un an. Un projet pour lequel il bénéficie d’une subvention de la Région wallonne dans le cadre du programme Win4Spin-off.

« J’ai ici deux capteurs différents », explique l’ingénieur industriel, en pointant deux boîtiers reliés à son ordinateur. « L’un détecte le dioxyde d’azote et l’autre les molécules d’alcool. Si je passe un échantillon sous leur capteur, ils réagissent en fonction des molécules qu’ils reniflent. Cela se voit en temps réel sur les graphiques affichés sur l’écran », pointe-t-il, sur le stand de Wallonie-Bruxelles International, à la foire industrielle d’Hanovre (Allemagne). Jérôme Schruyers y avait été convié par le département Recherche et Innovation de WBI pour y présenter son projet.

Des capteurs olfactifs sur des cartes électroniques spécialisées

L’ingénieur propose d’intégrer des capteurs (conçus par d’autres) sur des modules électroniques spécifiques qu’il produit lui-même. C’est sa valeur ajoutée. « Je suis plutôt dans la partie développement électronique et l’analyse de données», confirme-t-il. « Les prototypes de cartes avec lesquelles je travaille sont des dispositifs dotés de capteurs spécifiques et d’une électronique capable de transmettre les informations pertinentes. Cette transmission fonctionne via des câbles et des connexions sans fil ». À terme, ses boîtiers devraient devenir autonomes et traiter eux-mêmes, sur site, les informations qu’ils captent.

Jérôme Schruyers ne compte pas utiliser des boîtiers munis chacun d’un capteur unique. Il envisage plutôt d’intégrer sur ses cartes plusieurs capteurs sensibles à différentes molécules. Une possibilité offerte par l’application de différentes couches sensibles sur un capteur. « L’Université de Mons a une quinzaine d’années d’expérience dans le développement de couches sensibles pour les capteurs de gaz », dit-il. « Une expertise partagée avec le Centre de recherche Materia Nova, où les chercheurs manient très précisément la chimie pour arriver à ces résultats. »

Entraîner un algorithme de reconnaissance

Son projet, baptisé « Scent ID », vise à intégrer une telle matrice de capteurs sur ses cartes électroniques afin de pouvoir détecter des cocktails de molécules. Ceci dans la perspective d’ensuite entraîner un algorithme à reconnaître différentes empreintes olfactives. On parle de « machine learning » dans le jargon.

Et dans quel but ? « Je veux améliorer les systèmes qui surveillent la qualité de l’air », martèle l’ingénieur. « Que ce soit dans nos maisons, nos bureaux, nos écoles. Cette qualité influence notre vie, notre santé. Je pense, par exemple, aux allergies. »

Les applications potentielles de son innovation sont également industrielles. Dans le secteur agroalimentaire, par exemple. « En surveillant différentes molécules présentes dans l’air de divers procédés de fabrication, on peut obtenir de meilleurs produits », indique-t-il. Il pense notamment à la torréfaction, ou encore à la brasserie. Pour le café, c’est aujourd’hui le nez du torréfacteur qui fait le job. Demain, avec son procédé, un algorithme pourrait faire aussi bien, voire mieux.

Pour la brasserie, c’est lors de la phase de fermentation que son nez intelligent pourrait faire la différence. « La présence de certains composés peut altérer tout un lot de production », souligne-t-il. « Détecter précocement ces molécules signifie un gain de temps. »

Une chaîne de valeur complète

L’ingénieur pointe encore un troisième exemple, toujours dans le secteur agroalimentaire. « Lors de l’abattage des porcs, les opérateurs sont amenés à détecter avec leur propre odorat des effluves de verrats », dit-il. « Ces carcasses dégagent à la cuisson des odeurs très peu appréciées par les consommateurs. Classiquement, c’est un être humain qui réalise cette détection sur les carcasses, en venant chauffer un échantillon de gras et en reniflant les odeurs émises. Un travail difficile à réaliser efficacement tout au long de la journée. Notamment, parce que les récepteurs olfactifs de l’opérateur sont rapidement saturés. Les nez électroniques peuvent ici aussi rendre de grands services », assure-t-il.

Avec Scent ID, le jeune entrepreneur entame sa seconde année de R&D. Une fois la technologie validée, il devrait pouvoir compter sur un soutien supplémentaire de la Région wallonne pour développer les aspects commerciaux de son projet. L’ingénieur est confiant. « Ce que nous développons propose une chaîne entière de valeur, depuis la recherche, les partenaires qui fabriquent des couches sensibles pour les capteurs olfactifs, les fabricants de capteurs jusqu’aux experts en gestion de données. Et notre produit est promis à un large panel d’applications. »

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