Auschwitz-Birkenau By WeEzE CC-BY-SA-3.0 or 2.5-2.0-1.0
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Les idées politiques des jeunes et le devoir de mémoire

11 juin 2014
par Elise Dubuisson
Temps de lecture : 5 minutes

C’est lors d’un voyage de classe dans les camps de concentration d’Auschwitz Birkenau alors qu’il est adolescent que Geoffrey Grandjean, politologue à l’Université de Liège, commence à s’intéresser à la manière dont se forgent les idées politiques des jeunes. En effet, sur place, il réalise que les lieux ne le touchent pas autant qu’on le lui avait prédit. Pourquoi n’est-il pas ému ? Pourquoi n’est-il pas sous le choc dans ce lieu chargé d’histoire ?

 

La socialisation politique des jeunes par le prisme du génocide des juifs
 
Puisqu’il a commencé à se poser des questions à Auschwitz, Geoffrey Grandjean, continue à s’intéresser à la socialisation politique des jeunes par le biais du génocide juif. Une partie de l’histoire que personne n’ignore et dont tout jeune entend parler à un moment ou à un autre de sa scolarité et de sa vie : « Lorsqu’on est en secondaire, le génocide des juifs fait partie du cursus, on y explique les faits avec généralement comme idée derrière qu’il faut rejeter l’extrême droite et ne surtout pas voter pour elle. Mais les jeunes peuvent-ils se forger leurs propres idées ? ».

 

Rencontre avec des jeunes
 
Pour répondre à cette question, le jeune chercheur a réuni une centaine de jeunes de 16 à 18 ans issus de milieux favorisés et défavorisés et de différents réseaux de la Communauté française. Ces derniers ont été répartis en groupes d’une dizaine d’élèves que Geoffrey Grandjean a rencontrés à un an d’intervalle : une fois en 4e secondaire, avant que les deux guerres mondiales ne soient évoquées en classe et une seconde fois en 5e secondaire, après qu’ils aient étudié cette matière. Au cours de ces groupes de discussion d’1h30, il a pu analyser le discours des jeunes. Un discours qui se divise en plusieurs catégories.

 

    • L’expression de connaissances : souvent partielles, relatives au passé : « ils parlent de guerre et de génocide, font la différence entre les deux ou parlent de politique mais de manière très limitée. Sans réelles connaissances. »

 

    • L’expression d’émotions : ils expliquent la manière dont ils sont touchés par le génocide des juifs de par, entre autres, leur histoire personnelle. « Une émotion qui influence leur perception de certains acteurs politiques. Par exemple, bien qu’ils n’arrivent pas à relater les idées de l’extrême droite, ils la rejettent. Un rejet qui est donc plutôt le fruit d’une émotion que d’une connaissance politique. À l’inverse, ils expliquent faire confiance à l’Europe sans trop pouvoir expliquer pourquoi. »

 

    • L’expression de valeurs : ils expliquent qu’il est important d’avoir des valeurs, en réponse à ces évènements du passé. « Il ne faut pas être raciste, il faut donner de la valeur à chaque homme peu importe qui il est. Et ce parce que le génocide a nié une série de valeurs sur le respect de l’être humain. »

 

  • Le discours politique : il est moins argumenté que les trois précédents, les connaissances sont très lacunaires. Les jeunes affichent des idées politiques – essentiellement un rejet des extrêmes – mais sans pouvoir les expliquer.

 

Pas de différence d’une année à l’autre
 

Très étonnement, ces différents discours ne diffèrent pas vraiment d’une année à l’autre. « Si le volet émotionnel a tendance à s’intensifier après une visite de camps de concentration ou suite à des cours sur ce génocide, à aucun moment, les jeunes n’arrivent à réellement définir les idées des partis extrémistes et les raisons pour lesquelles il convient de les rejeter. Ils ne parviennent pas non plus à faire la différence entre l’extrême gauche et l’extrême droite. Ils ont, finalement, un discours très manichéen qui oppose le bien et le mal et qui est plutôt motivé par les émotions que par des connaissances  », explique Geoffrey Grandjean.

 

Du génocide des juifs à l’Europe
 

Autre constatation faite par le politologue : la confiance presque aveugle que ces mêmes jeunes ont pour l’Europe et l’ONU. Une confiance, qu’ils ne peuvent pas plus expliquer que les idées des partis extrémistes… « Je pense que cette confiance aveugle résulte de la chronologie des évènements et de l’enseignement : ils étudient d’abord les guerres mondiales et ensuite la création de l’Union Européenne. Ils font alors une sorte de lien entre les deux de type : l’Europe permet d’éviter les guerres. Et ils n’ont pas conscience que depuis lors les choses ont, peut-être, changé. La grande majorité d’entre eux est d’ailleurs incapable de définir le rôle de l’Europe. »

 

Changer les modes de transmission de la mémoire ?
 
Les constatations faites par Geoffrey Grandjean l’ont poussé à revoir son opinion sur la transmission de la mémoire et plus précisément sur le devoir de mémoire que l’on tend actuellement à imposer aux jeunes. « En écoutant les jeunes discuter entre eux, j’ai constaté qu’il y avait une sorte d’obligation tacite de mémoire : il faut se souvenir du génocide des juifs, il faut rejeter les partis extrémistes, il ne faut pas être raciste… Autant de choses qui sont bien entendu essentielles mais qui ne peuvent être intégrées correctement par les jeunes si elles relèvent uniquement du devoir. Ce n’est pas en contraignant les jeunes à se souvenir qu’ils se forgeront une opinion personnelle. Il faudrait plutôt pousser les jeunes à se questionner sur ces événements, à les comprendre pour qu’ils soient eux aussi capables de les transmettre plus tard », conclut Geoffrey Grandjean.

 

Un livre 

Geoffrey Grandjean a publié sa recherche et ses réflexions chez De Boeck sous le titre «Les jeunes et le génocide des juifs ».

 

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