Contourner la loterie génétique naturelle. C’est bien là le premier but de l’insémination artificielle des abeilles domestiques. Une équipe de chercheurs de l’université de Liège a développé un protocole simple et innovant de congélation lente de spermatozoïdes des faux bourdons. Des inséminations utilisant cette semence cryoconservée ont abouti à la production d’un couvain femelle (un amas d’œufs) avec un taux de viabilité équivalent à l’usage de sperme frais. Cela ouvre de nouvelles perspectives pour l’apiculture et la préservation des abeilles.
Une vie éphémère
Le faux bourdon, c’est le mâle de l’abeille domestique, Apis mellifera. Il ne doit pas être confondu avec le bourdon, qui appartient à une autre espèce du genre Bombus.
Le faux bourdon provient d’un œuf non fécondé et n’a donc pas de père. Il est haploïde, ce qui signifie qu’il possède un seul jeu de seize chromosomes hérités de sa mère, la reine de la ruche. L’abeille ouvrière femelle est, au contraire, issue d’un œuf fécondé et est donc diploïde : elle possède 2 jeux de 16 chromosomes, un hérité de la mère, un du père.
Le faux bourdon atteint sa pleine maturité sexuelle environ douze à quinze jours après sa naissance. Son unique rôle est de s’accoupler avec une reine fertile lors d’un vol nuptial auquel il ne survit généralement pas.

Une sélection minutieuse
En milieu naturel, une reine s’accouple avec plusieurs faux bourdons. Dès lors, sa progéniture femelle est généralement issue de pères d’origines génétiques distinctes : certaines jugées, par les apiculteurs, excellentes pour la production de miel ou la lutte contre les maladies, d’autres médiocres.
C’est pour contourner cette loterie génétique que l’insémination artificielle des reines est pratiquée avec la semence de faux bourdons sélectionnés pour la qualité de leurs chromosomes.
A noter que l’accouplement libre, réalisé en vase clos, entre une reine et des faux bourdons sélectionnés, exige de très nombreux individus mâles pour être couronné de succès. C’est pourquoi cette méthode est peu utilisée.
Avantages de la semence congelée
L’insémination artificielle des reines d’abeilles mellifères avec de la semence fraîche est réalisée de manière efficace par les sélectionneurs depuis les années 1960. Et ce, grâce à un matériel de précision comprenant une chambre d’anesthésie, des crochets et une seringue micrométrique.
Une nouvelle étape vient d’être franchie par une équipe de l’ULiège: cryoconserver la semence de faux bourdons sélectionnés, selon un protocole simple tenant en une dilution en une seule étape dans un milieu contenant des cryoprotecteurs. D’habitude, à la température très basse de la cryoconservation dans l’azote liquide (-196°C), des cristaux de glace se forment endommageant les structures cellulaires. Les molécules cryoprotectrices réduisent cette formation de glace et par là, maintiennent l’intégrité des cellules.
L’intérêt de la cryoconservation de sperme de faux bourdon? Etre le garant d’une certaine biodiversité et pouvoir expédier du sperme de qualité dans le monde entier pour alimenter des programmes de reproduction, sans prendre le risque de véhiculer des agents infectieux (virus, bactéries …) comme c’est le cas avec le transport d’animaux vivants.
Congelé ou frais, un pouvoir fertilisant identique
Le paramètre de qualité du sperme le plus couramment utilisé est la viabilité. Celle-ci est définie par la perméabilité de la membrane plasmique de la cellule du spermatozoïde : une cellule viable a une membrane plasmique intacte et imperméable. L’évaluation de la viabilité des spermatozoïdes a été réalisée au microscope à fluorescence à l’aide de deux combinaisons différentes de colorants. Ces deux techniques ont donné des résultats similaires montrant une baisse de la viabilité après décongélation de 37%.
« Malgré cette perte, 5 reines sur les 8 inséminées avec du sperme congelé-décongelé ont produit du couvain femelle. Ce résultat est similaire à celui obtenu avec le groupe contrôle inséminé avec du sperme frais. Cela démontre que le sperme cryoconservé suivant le protocole que nous avons développé est capable de fertiliser les ovules. De plus, les taux de survie jusqu’au début de la ponte et la production de couvain femelle sont similaires pour les deux groupes», explique Sophie Egyptien, doctorante au sein de l’unité de recherche FARAH (Fundamental and Applied Research for Animals & Health) (ULiège) et première auteure de l’article.
Toutefois, les implications d’un plus faible poids des reines inséminées par du sperme cryoconservé et de périodes de ponte limitées devront être étudiées plus en détail.
« Cette étude est très prometteuse, car il s’agit du premier protocole sans antibiotique rapporté dans la littérature qui s’avère efficace pour la production de couvain femelle », précise Pr Stefan Deleuze, promoteur de la recherche menée au sein de la Faculté de Médecine vétérinaire (ULiège). Dans le contexte mondial de l’antibiorésistance, l’utilisation non thérapeutique d’antibiotiques, comme c’est le cas communément dans les diluants de sperme de différentes espèces domestiques pour limiter la contamination microbienne, est un sujet de préoccupation dans le milieu de l’insémination.
Une banque de sperme de faux bourdon
Le projet FreezeBEE, dans lequel s’inscrit cette étude, est une initiative du Service d’obstétrique et pathologies de la reproduction des animaux de compagnie et des équidés de l’ULiège visant à valoriser son expérience en cryopréservation de la semence des mammifères pour répondre à une demande de la filière d’élevage apicole.
A l’avenir, les chercheurs affineront leur protocole de cryoconservation, y compris les concentrations optimales de cryoprotecteurs et la minimisation de la contamination bactérienne lors de la collecte du sperme. Et ce, dans l’optique d’établir à terme une cryobanque de semence d’Apis mellifera permettant la conservation de lignées génétiques d’intérêt.