Série « Lever un coin du voile sur l’histoire humaine » (1/5)
Situé le long du Prut, le fleuve qui sépare la République moldave et la Roumanie, le village de Mitoc s’entoure d’une vingtaine de sites préhistoriques. Celui de Malu Galben, la « rive jaune » en roumain, est devenu au fil du temps un lieu de référence dans l’étude du Paléolithique supérieur en Europe de l’Est. Fouillé depuis plus de 30 ans par des archéologues de l’Université de Liège, en collaboration avec des chercheurs de l’Institut d’Archéologie de Iasi (Roumanie), les recherches qui lui ont été consacrées ont permis d’en apprendre davantage sur les traditions culturelles d’Homo sapiens, présent dans la région il y a 30.000 ans.
Des milliers d’éclats de silex exhumés
« Découverte en 1880, la station de Mitoc-Malu Galben serait, théoriquement, le tout premier site paléolithique mis au jour en Roumanie », fait savoir Pierre Noiret, professeur de Préhistoire à l’ULiège et actuel directeur des fouilles. « Le site a été exploré dès les années 1930, et une fouille plus importante a été menée dans les années 1950, mais nous n’avons malheureusement jamais retrouvé le matériel déterré. »
Il faut attendre la fin des années 1970 pour que le potentiel archéologique du site soit révélé. « De 1978 à 1990, l’archéologue roumain Vasile Chirica – avec qui nous avons collaboré par la suite – prend l’initiative de fouiller ce site tous les étés, avec l’aide de bénévoles et d’enfants du village. Il a dû creuser jusqu’à 4,5 mètres de profondeur pour trouver les premiers vestiges. Dix ans plus tard, l’excavation atteignait les 14 mètres de profondeur! »
Ces travaux ont permis de découvrir des centaines de milliers de fragments de silex. « L’endroit était vraisemblablement exploité comme atelier de débitage, un endroit où Homo sapiens se rendait pour préparer des outils et des armes, qui étaient ensuite probablement transportés à un site d’habitat, dont on ignore encore la localisation », précise le Pr Noiret.
Un site occupé par deux cultures humaines différentes
Dès 1992, une collaboration voit le jour entre Vasile Chirica et des scientifiques de l’Institut royal des Sciences naturelles et de l’Université de Liège, incluant Pierre Noiret, alors jeune doctorant.
Avec une séquence stratigraphique de 14 mètres de profondeur, ce qui est assez rare sur un site archéologique, l’équipe a l’occasion d’étudier l’évolution de l’environnement de manière fine sur une période de 10.000 ans. « Nos fouilles de l’époque, et les analyses des amas de silex qui ont suivi, visaient à savoir quand le site avait été occupé, et ainsi à déterminer à quelles cultures ces humains appartenaient », indique le spécialiste des civilisations paléolithiques européennes.
Le Paléolithique supérieur est effectivement marqué par plusieurs traditions culturelles successives. Chaque culture possédant ses propres caractéristiques en matière de rituels, de pratiques artistiques, ou encore de techniques de taille. Par leurs études, les archéologues ont mis en évidence que les silex retrouvés dataient de 33.000 à 23.000 ans, et qu’ils avaient été taillés par des humains de deux cultures distinctes : l’Aurignacien (-45.000 à -29 000 ans) et le Gravettien (-29 000 à -22 000 ans).
« Dans la culture aurignacienne, Homo sapiens produisait généralement des lames plutôt épaisses et larges, alors que dans la culture gravettienne, les lames étaient plus légères et étroites. Technologiquement, on note des différences. Ils n’employaient pas non plus les mêmes outils et les mêmes armes sur ces lames en silex. »
Mieux comprendre le passage de l’Aurignacien au Gravettien
De 2013 à 2016, quatre nouvelles campagnes de fouilles sont menées par les mêmes chercheurs, avec l’apport du Pr Philip Nigst de l’Université de Cambridge (Royaume Uni), aujourd’hui chercheur à l’Université de Vienne (Autriche). Les silex récoltés font actuellement l’objet d’une étude technologique détaillée, qui vise à mieux comprendre la façon dont ces matériaux ont été travaillés par les deux cultures.
« Cette étude permet d’enrichir la documentation que l’on a déjà sur les cultures aurignacienne et gravettienne. Ces données pourront aussi servir de base de comparaison vis-à-vis de celles recueillies en l’Europe occidentale, car si l’évolution de la technologie a été très bien décrite en Europe de l’Ouest, celle d’Europe de l’Est est encore peu connue », note le Pr Noiret.
Les prochaines fouilles, a priori prévue pour 2023, chercheront à récolter davantage de matériel aurignacien. « Nous avons trouvé, durant nos recherches de 2015 et de 2016, des silex datant de la fin de l’époque aurignacienne, et on aimerait refouiller cette partie du site. L’intérêt étant, à terme, de comprendre comment cette tradition culturelle s’est terminée dans la région et a laissé place à la culture gravettienne. »
La question du passage de l’une à l’autre reste encore débattue, et le site de Mitoc-Malu Galben offre aujourd’hui la possibilité aux chercheurs liégeois de mieux étudier cette transition.