L’un des facteurs majeurs du rejet d’une greffe d’organe est un dosage inapproprié du médicament anti-rejet, le tacrolimus. Laure Elens et Laure Bindels, professeures à l’UCLouvain, ont mis au jour l’influence du microbiote intestinal dans la variabilité du dosage de ce médicament. Cette découverte devrait permettre de mieux cibler le traitement post-greffe et d’alléger les effets secondaires qui en découlent.
Un dosage difficile
Pas moins de 1600 personnes sont en attente d’une greffe chaque année en Belgique. Parmi elles, seules 939 ont reçu un organe en 2021. Plus de 40 % des patients doivent souvent patienter plus d’un an avant d’espérer être transplantés. La réussite des greffes passe, notamment, par l’ingestion d’un médicament anti-rejet, le tacrolimus, que les patients doivent prendre à vie.
Or, il est extrêmement difficile de doser correctement ce médicament, ce qui peut entraîner des risques importants d’échec de la greffe en cas de sous-dosage, ou des effets secondaires très importants en cas de surdosage : diabète, hirsutisme, perte de cheveux, neuropathie ou effets néphrotoxiques.
Deux professeures du Louvain Drug Research Institute, Laure Bindels et Laure Elens, épaulées par Alexandra Degraeve, aspirante FNRS, se sont intéressées aux liens entre ce médicament, son dosage et le microbiote.
Leur objectif ? Déterminer les facteurs qui influencent la manière dont le corps humain absorbe et élimine ce médicament, dans le cadre de greffes.
L’influence du microbiote
Concrètement, Laure Bindels a démarré l’étude sur des souris, avec pour objectif de déterminer si la présence du microbiote joue un rôle ou non dans l’absorption du médicament.
Les chercheuses ont observé que, sans microbiote, les taux de tacrolimus dans le sang de la souris étaient plus bas. Ce qui signifie que la présence d’un microbiote augmente la concentration du médicament dans le sang. Et donc diminuerait le risque de rejet de greffes, ou, a contrario, pourrait augmenter le risque de survenue d’effets secondaires.
Cette recherche a également permis de mettre au jour un mécanisme d’action du microbiote, encore inconnu : le microbiote favorise l’absorption du médicament en diminuant l’action d’une protéine, la P-glycoprotéine, qui agit comme une pompe à la surface des cellules intestinales et limite l’absorption de nombreux médicaments, dont le tacrolimus.
Tests cliniques
En parallèle, Laure Elens a réalisé des tests cliniques, sur des matières fécales prélevées auprès d’une centaine de patients ayant subi une greffe rénale, en collaboration avec les Pr Michel Mourad et Vincent Haufroid des Cliniques universitaires Saint-Luc (UCLouvain). Leur objectif était de comprendre les raisons de la grande variabilité des doses actuelles (de 1 à 30 fois supérieures) de tacrolimus d’un patient à l’autre, grâce à la mise au jour de la composition du microbiote de patients transplantés rénaux.
L’étude clinique a montré que plus le dosage du médicament est élevé, moins le microbiote est riche (c’est-à-dire qu’il est moins diversifié en bactéries). La recherche a également identifié deux genres de bactéries spécifiques associées à la diminution de la dose requise de tacrolimus.
Enfin, l’étude montre que les patients ayant développé du diabète suite à la prise régulière du tacrolimus présentaient une réduction d’un certain type de bactéries (Anaerostipes) dans leur microbiote intestinal, ce qui pourrait indiquer que ce type de bactéries protège les patients de l’apparition de cet effet secondaire.
Un regard plus holistique
La suite ? Les scientifiques UCLouvain ont obtenu un financement du FNRS afin d’étudier le microbiote sur une longue période, afin de le comparer avant, juste après et à distance de la greffe, et ainsi avoir une image encore plus précise des interactions entre les bactéries intestinales et l’absorption de certains médicaments, comme le tacrolimus. L’application du concept à d’autres médicaments (anti-VIH, hypotenseurs, etc.) transportés par cette pompe à efflux est également en cours.
Cette découverte démontre également l’importance d’une meilleure communication entre spécialités de la médecine : à l’avenir, si un patient ayant subi une greffe rénale est amené à prendre des antibiotiques (qui ont un impact significatif sur le microbiote), il serait utile qu’un contact soit pris au préalable avec son néphrologue afin de limiter au maximum les effets secondaires ou les problèmes de rejet de greffe. Une réflexion similaire peut s’appliquer en cas de changements alimentaires importants.