Pr François Gemenne. © Julie Louis/ULiège
Pr François Gemenne. © Julie Louis/ULiège

Les ‘réfugiés climatiques’ ne sont pas des épouvantails à agiter à la face des gouvernements

11 juillet 2024
Carte Blanche : François Gemenne, Directeur de l'Observatoire Hugo, Université de Liège
Temps de lecture : 4 minutes

Les impacts du changement climatique sur les migrations et les déplacements de population sont souvent présentés comme les plus graves qui soient, comme une nouvelle crise migratoire qui serait impossible à éviter, à moins que nos émissions de gaz à effet de serre ne baissent drastiquement. Et de fait, quand ces migrations liées au climat sont évoquées dans le débat public, elles le sont toujours au futur, comme s’il s’agissait d’un risque dont il faudrait se prémunir à tout prix. Comme si « des millions de réfugiés climatiques » représentaient la catastrophe qu’il fallait éviter à tout prix. Il est en effet vraisemblable que le changement climatique déplace à l’avenir des dizaines de millions de personnes. Mais je voudrais plaider ici pour que l’on arrête d’utiliser cet argument des migrations de masse dans le débat sur les impacts du changement climatique.

En premier lieu, on a tort de présenter ces migrations comme un risque futur : elles constituent déjà une réalité présente. L’an dernier, ce sont plus de 26 millions de personnes qui ont été déplacées par des catastrophes, dont la grande majorité étaient d’origine climatique. Et ce chiffre n’a rien d’exceptionnel : chaque année, les catastrophes climatiques – qu’il s’agisse de sécheresses, de cyclones, de tempêtes ou d’inondations – provoquent le déplacement de plusieurs dizaines de millions de personnes, davantage que les guerres et les conflits. Souvent, les projections futures de centaines de millions de déplacés à l’horizon 2050 nous empêchent de voir la réalité des déplacements provoqués aujourd’hui par les impacts du changement climatique, qui demandent des réponses urgentes.

Les facteurs de migrations ne sont pas indépendants les uns des autres

Ensuite, cette caractérisation des migrations climatiques donne à penser qu’il s’agirait d’une catégorie migratoire distincte, qui n’aurait rien à voir avec les autres facteurs – économiques et politiques notamment – des migrations. Comme si les migrations climatiques étaient une nouvelle catégorie, induite par le changement climatique, à l’écart des dynamiques migratoires déjà connues.

Ce serait oublier, d’abord, que l’environnement a toujours été un facteur déterminant des migrations : la distribution géographique actuelle de la population sur Terre doit beaucoup aux conditions environnementales. Ce serait oublier, surtout, que les facteurs de migrations ne sont pas indépendants les uns des autres : aujourd’hui, rares sont ceux qui migrent pour un motif précis et singulier ; les facteurs de migration s’entremêlent et s’influencent mutuellement. Ainsi, une majorité de la population au Sahel dépend de l’agriculture de subsistance, ce qui veut dire que ses revenus sont étroitement liés aux conditions environnementales. Enfin, les recherches empiriques ont montré depuis longtemps que notre propension à classer les migrants dans des catégories selon leur motif supposé de migration servait bien davantage à justifier nos cadres politiques et juridiques qu’à décrire la réalité concrète des migrations contemporaines.

Mais le plus gros problème de la rhétorique dominante sur les ‘réfugiés climatiques’, c’est qu’elle alimente un agenda politique xénophobe, qui dessert les intérêts de celles et ceux que cette rhétorique espère protéger. En présentant ces migrations comme un risque pour nos sociétés, on accrédite l’idée que les migrations seraient un danger dont il faudrait se prémunir. On voit bien l’idée : il s’agissait de convaincre que la baisse des émissions de gaz à effet de serre servait leurs intérêts, parce qu’elle était censée les prémunir contre des migrations futures. Mais a-t-on seulement considérer le message que cette rhétorique véhiculait au sujet des migrations ? Il reste à démontrer qu’une telle rhétorique puisse vraiment convaincre les gouvernements de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre. En revanche elle risque de les pousser à fermer davantage encore leurs frontières, pour se prémunir d’une prochaine crise migratoire. Et pour certains, ce sera même une stratégie d’adaptation face aux impacts humains du changement climatique…

 

À l’occasion de son dixième anniversaire, Daily Science donne chaque mois carte blanche à l’un(e) ou l’autre spécialiste sur une problématique qui l’occupe au quotidien. Et ce, à l’occasion d’une des journées mondiales proclamées par l’Assemblée générale de l’ONU.
Aujourd’hui, la journée mondiale de la population.

 

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