Détail de la couverture du livre «Voir sans limites» © Editions Mimésis

Aux croisements des savoir-faire visuels et des savoirs scientifiques

11 juillet 2025
par Raphaël Duboisdenghien
Temps de lecture : 4 minutes
“Voir sans limites” par Elsa De Smet, Charlotte Bigg et Kurt Vanhoutte. Editions Mimésis. VP 18 euros

Les éditions Mimésis publient «Voir sans limites». Un idéal pour la docteure en histoire de l’art Elsa De Smet qui dirige le livre avec l’historienne des sciences Charlotte Bigg et le professeur en études de théâtre et des spectacles Kurt Vanhoutte.

«Cela revient à faire l’hypothèse que visualiser ce que l’on ne peut pas voir serait possible», précise la spécialiste des études visuelles au Centre Pompidou-Metz (France). «Cela concourt à ne pas admettre pouvoir se passer de la vue comme accès cognitif aux savoirs et au partage des savoirs. Cela implique d’avoir recours à de nombreux moyens, scientifiques, techniques et esthétiques pour tenter de résoudre une aporie, une difficulté qui semble insurmontable.»

Ce livre abondamment illustré décrit des procédés présentant visuellement les origines. Par le cinéma, le protocinéma et des processus de médiation entre spécialistes de l’art, des sciences visuelles, du cinéma, des médias.

«Tous résultent de recherches aux croisements des savoir-faire visuels et savoirs scientifiques consacrés aux origines de la vie, de la Terre et de l’Univers», explique la chercheuse. «Il y est question de la fabrication des images et des récits qui les entourent. De leur modalité d’existence et des sciences auxquelles elles prennent part. Il est affaire de photographie et d’astronomie autant que de performances des savoirs, de représentations scientifiques, de culture vernaculaire, d’histoire de l’art et des relations médiatiques que les images entretiennent avec le monde contemporain.»

La lanterne magique, instrument de vulgarisation

Six contributions. Kurt Vanhoutte de l’UAntwerpen a choisi «La Terre avant le déluge». En s’appuyant sur des scènes du début du monde. Avec lanterne magique et mise en récit visuelle.

«L’envie de rechercher des scènes de la Création m’est venue d’une remarquable collection française de diapositives de lanterne magique sur la géologie. Découverte dans les archives de l’IES Bárbara de Braganza, une école située à Badajoz, dans la région espagnole de l’Estrémadure. L’ensemble combine des images dessinées à la main de tableaux des temps géologiques indiquant les couches successives de roche sédimentaire, des photographies de sites majeurs et de leurs découvertes. Et des reproductions non datées de gravures extraites de revues scientifiques populaires. La technologie se prêtait bien à des artistes désireux de rendre la géologie compatible avec la Genèse tout en intégrant les nouvelles découvertes géologiques.» Ancêtre du projecteur de diapositives, la lanterne magique a facilité le transfert de nouveaux modes de pensée dans la vulgarisation des sciences de la Terre.

«L’exercice nécessitait de rassurer le public quant au fait que ce nouveau récit était sans danger, qu’il était même édifiant tant ses conclusions étaient compatibles avec les principaux enseignements religieux», relève le chercheur.

«Étonnamment, des indices nous révèlent que des spectacles de géologie ont été produits par des jésuites à Anvers jusque dans les années 1960. Mais il semble s’agir de rares exceptions. À cette époque, la lanterne magique en tant qu’instrument majeur de mise en récit visuelle avait largement déserté la scène.»

Visualisation et médiatisation de l’Univers sont inséparables

Charlotte Bigg dévoile dans «Entre ciel et Terre» une histoire de la visualisation et de la médiatisation de l’Univers en 19 tableaux. Pour l’historienne au CNRS, le centre français de la recherche scientifique, «la visualisation et la médiatisation de l’Univers sont devenues inséparables et cette interconnexion détermine son apparence telle qu’elle est donnée à être vue.»

«Peut-on nous en vouloir de nous attendre à voir des montagnes et des vallées sublimes lorsque nous regardons occasionnellement dans un télescope? Même certains astronomes d’aujourd’hui ne connaissent pas les constellations. Mais ils possèdent d’excellentes compétences en électronique.»

Des inventions optiques

Lors de recherches sur les habitats spatiaux, Jill Gasparina s’est intéressée au travail de Douglas Trumbull, un des pionniers des effets spéciaux avec «l’Odyssée de l’espace» de Stanley Kubrick. «J’ai découvert en effectuant mes recherches que sa contribution essentielle au film mythique était moins de l’ordre du dessin de hardware que de la production d’images animées employant un discours sur l’origine et le télos, le but du vivant, comme une allégorie de l’histoire technique, passée et à venir, du cinéma. Et notamment de ses moyens optiques.»

Ce lien entre inventions techniques dans le champ cinématographique et visualisation de formes de vie en train d’émerger est le sujet de la contribution de la professeure-assistante à l’École suisse de design et haute école d’art (EDHEA). La dernière partie du livre est consacrée à des images commentées des exoplanètes et des trous noirs.

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