Ingrédients pour concevoir la cervoise © Christian Du Brulle

De la bière millénaire pour fêter le site gallo-romain de Malagne

11 août 2021
par Christian Du Brulle
Durée de lecture : 4 min

Série (1/3) : « Devoirs de vacances » (Partie 2)

Jusqu’alors, on pensait que la riche villa gallo-romaine de Malagne, une des plus grandes villas présentes en Belgique, tirait essentiellement sa richesse de son activité agricole. Mais, « cette villa, dont le bâtiment principal présente des dimensions exceptionnelles, avec sa double colonnade s’étirant sur une centaine de mètres et son complexe balnéaire à l’échelle, était plus que vraisemblablement le domaine d’un riche magistrat de la ville », estime l’archéologue Philippe Mignot, de l’Awap, l’Agence wallonne du patrimoine. « La ville dont il est ici question était sans doute la capitale locale de l’époque, Tongres », dit-il. « Voire peut-être même Cologne. »

A l’occasion du 25e anniversaire de l’ouverture du site au public, le scientifique, qui a dirigé des fouilles à Malagne (commune de Rochefort) dans les années 1990, revient sur les dernières découvertes faites sur ce site.

L’archéologie préventive à l’honneur

Ces fouilles ont mené à l’actualisation des connaissances sur la villa romaine de Malagne. « L’accumulation de données permet de réécrire l’histoire, de renouveler nos connaissances », dit-il.

Depuis ces travaux dirigés entre 1992 et 1996, les recherches ont continué à bon rythme sur le site. « Principalement, en archéologie préventive », explique Françoise Fontaine, qui dirige les lieux depuis une dizaine d’années. « Nous avons participé, et nous participons toujours à divers projets de recherche en lien avec cette villa, qui bien que riche, était aussi agricole. Par exemple, en ce qui concerne le vallus, cette moissonneuse de l’époque romaine. »

Aux premières reconstitutions de la machine, sont venues s’ajouter d’autres expériences, dont tout récemment l’adjonction de pièces de métal sur les dents en bois de l’engin. Une « amélioration » testée en 2020, après la découverte à Warcq, en France, juste de l’autre côté de la frontière, d’un lot de 12 pointes recourbées en métal. Une recherche qui s’inscrit dans le cadre d’un projet européen Interreg.

« Malagne, la Gallo-Romaine », par un collectif d’auteurs de l’Archéoparc de Malagne. Editions Weyrich. VP 29 euros

De la cervoise au menu

Du grain (d’épeautre) à son utilisation, il n’y a qu’un pas. A Malagne, on le franchit facilement. Soit en s’attardant à la boulangerie, où transformé en farine, le grain finit dans le four en torchis. Soit en se concentrant sur la brasserie voisine.

Depuis des années, les expérimentations sur la cervoise sont rythmées par les saisons. Grâce aux recherches de Philippe Voluer, historien de la bière et fondateur du Musée de la bière de Stenay (France), une recette a même été développée.

«  Beaucoup d’inconnues persistent cependant, car les sources d’informations sont maigres », indique l’équipe dans le livre « Malagne, la Gallo-Romaine », publié aux Editions Weyrich, à l’occasion du 25e anniversaire du site archéologique.

« Pas d’écrits antiques suffisamment élaborés ni de structures archéologiques facilement identifiables pour renseigner précisément les chercheurs. Les expérimentations sur la bière sont donc particulièrement intéressantes à plusieurs niveaux. Outre la question de la recette, de la nature des ingrédients et des temps de cuisson, il y a les ustensiles employés et les contenants. Autant de variantes qui promettent des résultats gustatifs variés. »

Le mystère du houblon

La bière brassée à Malagne est réalisée avec de l’eau de source, du malt d’orge, de la levure et des aromates, dont la plupart sont issus du jardin reconstitué. Coriandre, sauge, lavande, achillée mille-feuille. Nombreuses sont les plantes potentielles qui pouvaient entrer dans la composition des bières antiques. Il en va de même pour les épices permettant de corser le breuvage, comme la cannelle, le safran ou les baies de genévrier.

« Qui dit bière, dit traditionnellement houblon, en tout cas depuis le Moyen Âge. Pour l’Antiquité, la question est plus délicate. Nous ne possédons aucune preuve de l’emploi de cette plante en brasserie. Si nous la retrouvons tout de même dans le jardin reconstitué de Malagne, c’est parce que les jeunes pousses de cette liane herbacée étaient consommées à l’époque, à la manière des asperges », indique Jean-Luc Mulkens, l’ingénieur agronome qui a reconstitué sur place un jardin de l’époque.

Dégustation de la cervoise gallo-romaine à Malagne © Christian Du Brulle

Sans recette avérée, les brasseurs amateurs de Malagne ont fonctionné par essai/erreur lors de l’élaboration de leur breuvage. Avec de la persévérance et de la pratique, la bière s’est améliorée. Le résultat ? Une boisson peu effervescente et d’un goût agréable, à découvrir sur place après avoir suivi les diverses étapes de sa préparation : germination, touraille, chaudron, panier de filtration… Mais soyons honnête, ce breuvage millénaire ne devrait pas vraiment faire d’ombre aux trappistes brassées un peu plus loin dans la même commune…

Haut depage