Le retour de la brique crue sur les chantiers en Belgique
Le retour de la brique crue sur les chantiers en Belgique

La brique crue, « nouveau » matériau de construction

11 septembre 2014
par Christian Du Brulle
Temps de lecture : 6 minutes

Depuis la révolution industrielle, les maisons construites en Belgique sont essentiellement réalisées en briques cuites. « Avant la machine à vapeur, c’était la brique crue qui était la norme », lance l’architecte Géry Despret. « A l’époque, plus de 80% des maisons rurales étaient faites de terre simplement compactée, sans passage par un four, continue-t-il. La brique cuite, c’était un luxe. »

 

Aujourd’hui, le luxe, c’est le retour à la construction en terre crue. Géry Despret y croit. Au terme de diverses études, il a lancé en Brabant Wallon une unité de production spécialisée. Établie à Tubize, son entreprise a une capacité de production de trois millions de briques par an. « Nous n’en produisons cependant pas autant », dit-il. « Le marché n’est pas encore assez développé. Avec la prise de conscience environnementale, la volonté de bâtir “vert” et recyclable, il devrait se développer. » Argio a toutefois déjà fourni des briques crues à 85 chantiers en Belgique et dans les pays voisins. Beaucoup concernent des rénovations. Une douzaine porte sur la construction de maisons neuves.

 

Si la construction d’habitats en terre crue est une activité millénaire, proposer aujourd’hui de telles briques sur le marché de la construction ne va pas sans poser quelques problèmes : composition du matériau, résistance mécanique, mise en œuvre… Des études techniques et scientifiques ont donc précédé le lancement des activités commerciales de la jeune société.

 

Caractérisation des composants et broyage de l’argile

 

« Il a fallu déterminer la composition optimale des ingrédients entrant dans la composition des briques », souligne Benoît Grymonprez, qui dirige le département des études et des essais du Centre Terre & Pierre. Ce Centre de Recherche agréé par la Région Wallonne (CRA) a apporté son expertise à Argio dans le domaine du traitement et de la valorisation des matières premières.

 

« Nous avons aidé à la caractérisation des composants, aux méthodes de broyage de l’argile, au séchage », précise-t-il. « Nous avons également mis à disposition nos ressources en matériels. Notamment nos équipements de taille pilote. Ils permettent de passer d’une production de laboratoire de ces briques à une phase préindustrielle. » Aujourd’hui, la collaboration avec le CTP continue. Elle porte sur l’amélioration du produit.

 

Uniquement pour les murs intérieurs

 

« Quand on parle de briques en terre crue, il faut savoir qu’on ne parle pas que de terre », souligne le Pr Bertrand François, de l’Université Libre de Bruxelles. « Il s’agit dans le cas présent d’un mélange de divers composants ». Avec son laboratoire de géomécanique, le Pr François a étudié la composition des échantillons de sols destinés à alimenter l’usine à briques crues d’Agio. Il a également émis des recommandations en ce qui concerne la composition idéale du mélange de terre, de chaux et de sable de ces briques pour que leur résistance mécanique soit optimale.

 

Les briques crues produites à Tubize commencent à équiper de nombreux bâtiments. Ce matériau de prime abord « primitif » revient au goût du jour. Mais uniquement pour les murs intérieurs. « Les murs extérieurs sont toujours en briques cuites », souligne Pierre Pirard, directeur général de l’entreprise T.Palm, qui vient de terminer le gros œuvre d’une maison familiale en briques crues à Bossut (Grez-Doiceau/Brabant wallon). « Les murs intérieurs, qu’il s’agisse des cloisons ou des murs porteurs, sont montés sans problèmes en briques crues. Pour l’extérieur, ce matériau demande encore quelques améliorations, notamment par rapport à sa fluctuation en eau et sa résistance au gel ».

 

« Il y a aussi une contrainte technique et architecturale », souligne pour sa part Pascal Pilate, du Laboratoire de recherches et d’analyses spécialisé dans les matériaux inorganiques, les sols et l’environnement. Ce laboratoire montois, qui relève de l’Inisma (Institut Interuniversitaire des Silicates, Sols et Matériaux), a également apporté son expertise à l’entreprise de Géry Despret. « Les murs extérieurs demandent à être bien protégés contre les intempéries », précise Pascal Pilate. « Ce qui implique l’usage de toitures (très) débordantes. Ce qui n’est pas la norme actuelle dans la construction ».

 

Avantages environnementaux et confort accru

 

La façade est réalisée en briques cuites. Les briques crues sont à l'intérieur du bâtiment.
La façade est réalisée en briques cuites. Les briques crues sont à l’intérieur du bâtiment.

Vue de l’extérieur, la maison en briques crues qui vient de sortir de terre à Bossut (Brabant Wallon), ne se distingue pas du tout d’une villa classique moderne. C’est à l’intérieur que le gros œuvre fait la différence. Les murs porteurs et les cloisons ne sont pas réalisés en blocs de bétons creux mais bien en briques de terre crue massive.

 

Une bonne isolation thermique reste nécessaire.
Une bonne isolation thermique reste nécessaire.

« Ces murs massifs apportent une bonne isolation phonique à l’intérieur », précise l’architecte Géry Despret. « Ils régulent également l’hygrométrie intérieure du bâtiment en absorbant l’excès d’humidité dans l’air et en la relâchant à d’autres moments. Le confort des occupants de l’immeuble s’en trouve amélioré. Les murs massifs sont aussi d’excellents régulateurs thermiques ». Ils ne sont toutefois pas spécialement isolants. Une double et épaisse couche d’isolants est placée en façade, entre les murs intérieurs et extérieurs du bâtiment.

 

Un autre avantage de ce type de matériau est sa faible empreinte écologique. La terre utilisée est d’origine locale. Elle provient du Brabant Wallon et du Hainaut. Le sable également. La fabrication des briques ne passe pas par une phase de cuisson très énergivore, contrairement à ce que requiert le ciment. « Nous économisons jusqu’à 93 % d’énergie par rapport à la fabrication de blocs de béton », souligne le patron d’Argio. Notons toutefois, comme le fait remarquer le Pr François ( « Bâtir » / ULB) que la chaux qui entre aussi dans la recette des briques Argio (à hauteur de 6 à 7%) est produite par calcination du calcaire à une température de mille degrés.

 

« Au final, le matériau mis en œuvre, la terre crue, sera entièrement recyclable en fin de vie du bâtiment », précise encore Géry Despret.

 

Temps de construction plus longs

 

La médaille a toutefois un revers. Les briques crues massives, sont plus lourdes que les blocs de béton creux. Résultats, elles sont aussi plus petites. Construire un mur avec ce matériau prend plus de temps (30 % de plus, estime l’entrepreneur). Ce qui a un coût en matière de main d’oeuvre. Le jeune patron de Tubize en est conscient. Son équipe de salariés, une dizaine de personnes à la fin de cette année, dont quatre entièrement occupés à la production, travaille au développement de nouveaux gabarits.

 

Comme au bon vieux temps

 

En Belgique, pour avoir une idée de la manière dont la terre crue était jadis mise en œuvre, rien de tel qu’une visite au musée de plein air du Fourneau Saint-Michel, non loin de Saint-Hubert, en Province de Luxembourg. Composé d’une soixantaine de bâtiments anciens, démontés dans leur village d’origine et reconstruits sur le domaine (ou reconstitués à l’identique), ce musée offre un beau tour d’horizon de l’architecture rurale traditionnelle wallonne du sud du Sillon Sambre-et-Meuse : habitations, fermes, chapelle, école, …

 

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