Depuis l’été 2015, les crises de l’accueil des exilés se succèdent en Belgique. «En 2015, les citoyens se sont mobilisés de manière notable en établissant un campement en face de l’Office des étrangers», rappellent Andrea Rea, professeur de sociologie à l’ULB, Antoine Roblain, chargé de cours de psychologie sociale des migrations à l’ULB et Julia Hertault, membre du Groupe de recherche sur les relations ethniques, les migrations et l’égalité (GERME). Dans «Héberger des exilé·es» aux éditions de l’Université de Bruxelles, collection «Débats».
Cette collection, dirigée par le membre de l’Académie royale de Belgique Andrea Rea, propose des ouvrages scientifiques, courts et accessibles, sur des sujets d’actualité. Pour nourrir les débats. Contrer les fake news.
Les représentants du travail collectif dédient le livre aux personnes qui se sont investies dans les initiatives citoyennes. Comme l’aide aux exilés.
Une politique inhospitalière
Le livre analyse des expériences d’hébergement citoyen des personnes exilées, de 2016 à 2019 et de 2022 à 2023. «La question est d’autant plus importante qu’au moment où le gouvernement fédéral fait appel à la solidarité de la population belge pour les exilés ukrainiens, l’État belge pratique une politique inhospitalière en ne respectant pas les obligations que lui impose la loi du 12 janvier 2007», précisent les chercheurs.
Publiée le 7 mai 2007, cette loi transpose, en partie, la directive du Conseil de l’Union européenne du 27 janvier 2003 qui établit des normes minimales pour l’accueil des demandeurs d’asile. Elle prévoit une aide qui ne se limite pas à l’hébergement. Qui comprend aussi des repas, l’habillement. Un accompagnement médical, social et psychologique. L’octroi d’une allocation journalière. L’accès à des services d’interprétariat et de traduction pour exercer droits et obligations. À des formations, à un programme de retour volontaire.
«Depuis le début de l’année 2022, plusieurs milliers de demandeurs de protection internationale enregistrés sont privés de ces droits et condamnés à l’errance et au séjour en rue», observent les chercheurs. «Situation pour laquelle l’État belge fut systématiquement condamné par des tribunaux belges et européens en 2022-2023.»
Un régime d’exception
Lors de l’arrivée des exilés ukrainiens, un régime d’exception a été instauré. Un statut de protection temporaire avec un revenu d’intégration. «Sans exiger de vérifications supplémentaires au-delà de leur identité et de leur nationalité, du moins pour le moment», relèvent les auteurs.
«L’empathie envers ces individus est également fortement influencée par les discours politiques, les intérêts géopolitiques européens. Ces exilés, immédiatement pourvus du statut de réfugié, se trouvent dans une position opposée à celle des demandeurs d’asile, qui doivent assumer la charge de la preuve. C’est-à-dire démontrer qu’ils et elles ont des craintes individuelles de persécution. Conformément aux termes de la loi.»
Un hébergement problématique
Exposé à des poursuites judiciaires, l’hébergement citoyen se métamorphose en 2022. Il devient politiquement légitime pour les exilés originaires d’Ukraine. «Il n’en va pas de même pour les hébergeurs des exilés en transit qui sont en situation de séjour irrégulier», observent les chercheurs.
Cet hébergement peut déboucher sur des rencontres et des expériences problématiques. Surtout lorsque la durée du séjour est incertaine et prolongée.
Pour les auteurs, l’expérience de l’hébergement organisé par la Plateforme citoyenne de soutien aux réfugiés «met en évidence qu’il est ardu de maintenir la mobilisation des hébergeurs sur le long terme en raison de l’épuisement et des défis logistiques que représente l’organisation d’une telle pratique. L’engagement de citoyens au sein de structures collectives de taille modeste constitue dès lors un mode d’action alternatif, d’ailleurs utilisé actuellement par la Plateforme citoyenne.»
Respecter les obligations légales
«L’hébergement citoyen est un exemple inspirant de la façon dont la société civile peut intervenir lorsque les institutions faiblissent. C’est une histoire d’humanité, de solidarité et de réflexions sur notre responsabilité collective envers les populations vulnérabilisées.»
Les chercheurs concluent que «l’accueil des exilés doit rester avant tout la responsabilité des pouvoirs publics. En particulier celle du gouvernement fédéral, dans la répartition des compétences politiques actuelles. Cela requiert la création et la mise en œuvre d’une politique publique volontariste. Conforme aux obligations légales, qui ne soit pas entravée par la crainte d’un appel d’air. Un argument récurrent lorsque la question de l’accueil et de l’extension des droits des exilés est soulevée.»