L’éthologie selon Tex Avery

12 février 2018
Céline Husson
Durée de lecture : 5 min

Comparer les comportements humains et animaux dans un dessin animé. Les biologistes Xavier Simon (UMons) et Jean-Claude Verhaege (ULB) se livrent à cet exercice passionnant. Leur étude éthologique qui sort des sentiers battus concerne en priorité la communication non verbale.

On le sait, la communication non-verbale concerne tous les comportements qui visent à faire passer un message de manière contrôlée, mais pas forcément consciente. Si elle est complémentaire à la communication verbale chez les humains, elle est essentielle chez les animaux. « Les abeilles, par exemple, ont développé un système de communication ultra développé qui leur permet d’indiquer avec précision la position d’une ressource alimentaire », explique Xavier Simon.

Le système nerveux central aux aguets

Par l’échange de signaux visuels, auditifs, tactiles et chimiques, les animaux peuvent donner l’alarme, signaler la propriété, menacer ou… séduire.

« L’animal émetteur envoie un stimulus. Il est réceptionné par les organes sensoriels du récepteur et analysé par le système nerveux central. Les organes émetteurs du récepteur envoient à leur tour une réponse. C’est ainsi que la communication non-verbale se fait », explique le biologiste.

Et il le montre, au travers d’un cours extrait du dessin animé de Tex Avery « Red Hot Riding Hood » (1943).

Alors qu’elle commence à chanter, la pin-up de Tex Avery provoque chez le loup des comportements étranges : coups de maillets autoportés, yeux qui s’exorbitent, hurlements, machine à marteler la table, sifflements, applaudissements. Le show terminé, le loup ramène brutalement la pin-up à sa table et s’empresse de tenter de la séduire. Malgré une proposition alléchante (un jeu de pneus à flancs blancs), il se fait sèchement rembarrer.

Des comportements variés pour mieux séduire

L’analyse des signaux du loup met en évidence un comportement plus… « subtil ».

Les coups de maillet sur le crâne font état d’une excitation intense, d’une pulsion. Au sens éthologique, les pulsions sont le signal d’une motivation spécifique.

« Les sifflements et les claquements de main sont destinés à attirer l’attention de la pin-up et de se démarquer de ses concurrents », analyse Xavier Simon.

La scène des yeux exorbités fait, elle, état de ce que l’on appelle le réflexe pupillaire. La pupille réagit à la quantité de lumière : plus il y a de lumière, plus la pupille se contracte. Le même phénomène a été constaté lorsque des images sont présentées à des humains. Plus l’image regardée est « positive », plus la pupille se dilate ; plus elle est « négative », plus elle se contracte. Il est ici possible de tracer un lien clair avec la sexualité.

Une question de ratio

Quels sont les signaux envoyés par la pin-up à ses spectateurs ?

Visuellement, on peut prendre en compte deux facteurs déterminants : la taille de la poitrine et le rapport entre la taille et les hanches. Plus ce dernier est faible, plus l’attirance est forte. « Que Tex Avery en ait été conscient ou non, la pin-up chaperon a un ratio plus faible et donc plus efficace que celui de Marilyn Monroe », démontre, chiffres à l’appui, le biologiste.

Sortir du lot

La manoeuvre est claire. Le loup tente d’attirer l’attention de la pin-up.Il doit sortir du lot par des comportements a priori étranges. Son objectif ? Séduire la belle pour tenter ensuite une copulation.

La pin-up de son côté fait valoir le « choix de la femelle » et le rejette. Tout ce manège ressemble fort à une parade amoureuse qui a mal tourné.

Dans la nature, nombre d’espèces font appel à la séduction de masse. Les grands tétras se regroupent et dans la cacophonie générale, c’est à celui qui fera le plus effet à la femelle convoitée.

À l’inverse, les femelles animales tentent également de s’attirer les grâces des mâles. Chez les mammifères, la période durant laquelle la femelle est fécondable et cherche l’accouplement en vue de la fécondation est appelée œstrus, ou chaleurs.

Economie et sexualité : absurdité ?

Chez l’Homme, ce phénomène semble avoir disparu. Mais une étude vient perturber cette idée.

« En 2008, Geoffrey Miller, Joshua Tybur et Brent Jordan de l’université de New Mexico voient leur recherche récompensée par un Ig Nobel », explique Xavier Simon. Ce prix, parodique du prix Nobel, récompense les recherches absurdes au premier abord, mais qui poussent à la réflexion. « Ces trois chercheurs ont conduit une étude économique particulière : l’impact du cycle d’ovulation d’une danseuse de lap dance sur… le montant de ses pourboires. Les résultats présentés indiquent qu’il existe en effet une corrélation. Le pourboire reçu correspondant à l’impact d’attraction qu’elle peut avoir sur un spectateur. »

 

Effets du cycle d’ovulation sur le pourboire. Au centre, la période fertile, à laquelle correspond un pourboire bien plus élevé © Geoffrey Miller, Joshua Tybur et Brent Jordan, “Ovulatory cycle effects on tip earnings by lap dancers: economic evidence for human estrus?”, in Evolution and Human Behavior 28 (2007), Elsevier, p. 375–381

Il y aurait donc signalisation : le comportement de la danseuse ferait passer le message de sa disponibilité sexuelle.

Une étude allemande a par ailleurs établi qu’en période d’ovulation, les femmes fertiles auraient tendance à choisir des vêtements courts et légers, et à porter du rose ou du rouge.

Des comportements culturels

Un élément supplémentaire vient contrarier l’identification d’un éventuel œstrus chez l’Homme : nombre de nos comportements sexuels pourraient avoir une origine culturelle, et donc avoir été acquis par l’éducation.

L’acception des comportements ou attributs sexuellement efficaces peut changer à travers le temps. En témoignent les critères de beauté chez la femme occidentale dans une période aussi courte que celle séparant Marilyn Monroe de Kate Moss.

L’Homme et l’animal utilisent tous deux des signaux dans le cadre de la communication non-verbale. Les comportements sexuels humains sont également partagés par d’autres espèces. Mais la difficulté de l’étude éthologique réside dans la difficulté de faire la distinction entre les comportements acquis et innés.

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