Vue d'artiste du duo Proba-3, un des satellites éclipsant le Soleil pour l'autre © P. Carril / ESA

Proba-3 vise le Soleil et l’exploration de la ceinture de radiation de la Terre

12 avril 2024
par Christian Du Brulle
Durée de lecture : 6 min

Les deux composantes de la mission Proba-3 sont actuellement en phase de test en Belgique, chez Redwire Space, à Kruibeke. Les deux satellites vont ensuite être envoyés en Inde, d’où ils seront expédiés l’automne prochain dans l’espace, à bord d’une fusée PSLV (Polar satellite Launch Vehicle).

Particularité de ce duo de l’Agence spatiale européenne, avec une forte participation scientifique et industrielle belge : les deux engins (250 et 300 kilos) vont être amenés à travailler ensemble quand ils seront en orbite. Un vol « en formation » serré qui constituera une prouesse technologique, à 60.000 km de la Terre.

Le petit satellite est muni d’un écran circulaire de 140 centimètres. Il éclipsera le disque solaire pour son compagnon, ce dernier étant muni d’un télescope. L’idée est de masquer le disque solaire (technique du coronographe) très intense afin d’étudier la couronne solaire, soit l’atmosphère de notre étoile qui n’est sinon pas détectable, vu la luminosité dégagée par l’étoile. Or, c’est au niveau de l’activité de cette couronne que se joue le « space weather », la météo spatiale, qui affecte, entre autres, notre planète et nos activités.

Le duo Proba-3, avec l'occulteur en avant-plan © Christian Du Brulle
Le duo Proba-3, avec l’occulteur en avant-plan © Christian Du Brulle

Démonstrateur de vol en formation

« Proba-3 est la première mission de l’Agence spatiale européenne (ESA), et la première au monde, de vol en formation de précision », explique Damien Galano, chef du projet Proba-3 à l’ESA. « Les deux satellites seront placés sur une orbite elliptique culminant à 60.000 km de la Terre. Ils voleront ensemble, conservant une configuration fixe comme s’il s’agissait d’une seule grande structure rigide dans l’espace, afin de valider les technologies de vol en formation et de rendez-vous. »

Au cours de leur orbite de 19 heures qui frôlera au plus près la Terre à une altitude de 600 km pour ensuite atteindre un apogée de 60.000 km, les deux satellites vogueront ensemble à 500 mètres de distance. Avant d’arriver à l’apogée, ils se rapprocheront et se placeront correctement l’un par rapport à l’autre, afin de former le fameux coronographe. Ce système d’observation du Soleil sera ainsi disponible pendant 6 heures, lors de chaque orbite.

Technologies belges à bord

Les précédentes missions d’observation du Soleil, telles que SOHO lancée en 1995, intégraient des coronographes pour étudier la couronne. « Mais leur efficacité était limitée par un phénomène appelé diffraction, où la lumière parasite déborde le bord du disque occultant », explique l’ESA.

Pour limiter ce phénomène, il convient d’éloigner l’occulteur. Avec Proba 3, l’occulteur principal (le fameux disque de 1,4 mètre de diamètre) sera placé à 144 mètres du second satellite et de son télescope: l’instrument baptisé ASPIIC (« Association of Spacecraft for Polarimetric and Imaging Investigation of the Corona of the Sun »).

Des observations au plus proche de la surface du Soleil

C’est le Centre spatial de Liège qui a été responsable du développement d’ASPIIC. « Outre la gestion du consortium de 12 partenaires répartis dans 7 pays européens, le CSL a développé le design optique, mécanique et thermique ainsi que l’alignement du coronographe », précise l’ingénieur Christophe Grodent. De même que l’occulteur interne, qui est lui minuscule (moins de 5 millimètres) et qui éliminera encore un peu plus la lumière parasite.

Damien Galano, chef de projet Proba-3 à l'Agence spatiale européenne, devant l'occulteur © Christian Du Brulle
Damien Galano, chef de projet Proba-3 à l’Agence spatiale européenne, devant l’occulteur © Christian Du Brulle

Mesure in situ dans la ceinture de radiation

Avec ce nouveau coronographe spatial, les scientifiques vont pouvoir explorer plus en détail la couronne, et ce au plus près du Soleil. Avec les coronographes disponibles jusqu’à présent, une sorte d’anneau noir masquait les couches de la couronne les plus proches de l’étoile, jusqu’à une distance de 3 rayons solaires. Avec ASPIIC, cette zone masquée se limitera à 1,08 rayon solaire. C’est dans cette région située au plus près du Soleil que naissent le vent solaire et les éjections de masse coronale: des phénomènes qui restent largement inexplorés et extrêmement difficiles à observer avec une résolution spatiale et une sensibilité suffisante pour comprendre ces phénomènes.

L’autre démonstrateur scientifique de la mission Proba-3 a été développé par une équipe de chercheurs de l’UCLouvain. Il s’agit d’un spectromètre à électrons énergétiques 3D de haute fidélité (3DEES). « Notre instrument observera les flux d’électrons situés dans la ceinture de radiation de la Terre, sur la trajectoire des satellites de Proba-3 », explique la physicienne Sylvie Benck, chercheuse principale au Center for Space Radiations de l’UCLouvain.

« Les mesures seront réalisées tout au long de l’orbite des satellites, sauf lorsque ceux-ci fonctionnent en mode coronographe, quand ils sont à l’apogée. A cette altitude, on est quasiment sorti de la ceinture de radiation. L’idée est de pouvoir mesurer, sur le reste de l’orbite, la densité des flux d’électrons. Des informations qui vont permettre d’optimiser les modèles de prédictions de météorologie spatiale. Les données récoltées intéresseront diverses équipes, notamment à l’Institut d’Aéronomie spatiale de Belgique (www.aeronomie.be), mais aussi à l’université de Postdam, en Allemagne. »

Des satellites pilotés depuis Redu

Les satellites Proba-3 ont également bénéficié du savoir-faire de plusieurs industries spécialisées en Belgique. Outre RedWire, on pointera la participation majeure de l’entreprise Spacebel. Elle a développé le logiciel de bord des deux satellites de même « qu’un simulateur des satellites, ce qui permet de tester les logiciels et de préparer les opérations », souligne Paul Parisis, responsable de la division Flight Software de l’entreprise. Spacebel a aussi mis au point le logiciel du segment terrestre de cette mission. Ce centre de contrôle de Proba-3 sera lui aussi installé en Belgique, à la station de l’ESA de Redu, en province de Luxembourg.

Question budget, la mission Proba-3 coûte 200 millions d’euros, dont 76 millions ont été alloués par la Belgique, via la Politique scientifique fédérale (Belspo). Le maître d’œuvre de la mission est le groupe industriel espagnol Sener.

Une fois les deux satellites en orbite, et après quelques mois de tests et de « recette en vol », les opérations pourront commencer. Les satellites devraient avoir une durée de vie opérationnelle de deux ans. Trois ans plus tard, ils devraient retomber naturellement vers la Terre et se consumer dans la haute atmosphère.

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