Difficile la vie de chercheur? Que dire alors de celle de «chercheuse»? Le Pr Bernard Fusulier (UCL) vient de le rappeler lors de la « quinzaine du genre », organisée à l’Université Saint-Louis, à Bruxelles. L’égalité homme-femme dans le monde académique et scientifique est encore loin d’être une réalité.
« La courbe de la représentation des femmes dans le monde académique est toujours en ciseau », pointe le sociologue. « Si les femmes sont nombreuses en début de parcours, elles se font nettement plus rares au fil de la carrière », rappelle-t-il. C’est le phénomène du « tuyau percé » (leaky pipeline) qui exprime la moindre présence des femmes au cours du déroulement des carrières scientifiques et académiques.
Un chiffre permet de fixer les idées. « En Belgique francophone, seuls 16% des postes de professeur ordinaire sont occupés par des femmes dans les universités », indique le Pr Fusulier, directeur de recherche F.R.S-FNRS. « À l’UCL, elles ne sont que 12% ».
L’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes est pourtant totale dans nos sociétés. Elle est le fruit d’une longue évolution. « Sylvie Schweitzer historienne française, identifie quatre temps à l’émancipation professionnelle des femmes », rapporte le Pr Fusulier.
- 1. À la fin du 19e siècle, seules quelques professions, en lien direct avec le « rôle de mère », s’ouvrent aux femmes, notamment dans le domaine de l’éducation ou des soins de santé.
- 2. Après la Première Guerre mondiale, les études d’ingénieur leur sont accessibles, de même que les emplois dans les administrations publiques.
- 3. Les années 1970 à 1990 marquent le temps de la mixité. À cette époque, tous les verrous sautent. Mais celles qui bénéficient de cette mixité restent minoritaires.
- 4. Depuis le début des années 2000, l’égalité est la règle.
Plafond de verre et plancher gluant
Pourquoi alors cette « évaporation » du nombre de femmes au fil des carrières académiques et scientifiques perdure-t-elle?
« Cette moindre présence des femmes trouve son explication dans plusieurs mécanismes », explique le Pr Fusulier.
– La persistance de stéréotypes sexistes : par exemple la croyance que les femmes sont plus émotives que les hommes.
– Le plafond de verre (glass ceiling), qui bloque leur ascension professionnelle.
– Le plancher gluant (sticky floor): ici, c’est la sphère privée qui est en cause. Elle mobilise davantage les femmes que les hommes, et les y maintient. Plus de temps à la maison, c’est donc moins de disponibilité pour la sphère professionnelle.
– Le travail domestique académique (academic housework), un travail moins prestigieux, qui est plutôt dévolu aux jeunes ou… aux femmes.
– l’habitus masculin : ceci recouvre la difficulté d’une candidate à se faire une place dans un quotidien qui fonctionne avec des habitudes d’hommes.
– Le club des vieux garçons (old boys’club) : absence d’effets de solidarité envers les femmes de la part de leurs collègues masculins.
– L’effet Matilda. c’est le phénomène « d’invisibilisation » des femmes dans la production scientifique, ce qui ne joue pas en leur faveur. Cet effet tire son nom d’une féministe et abolitionniste aux États-Unis. À ce propos, on notera que la situation n’évalue guère rapidement, comme le montrait encore fin mai la revue « Nature Astronomy ». Elle qui pointait notamment le fait qu’un article scientifique signé par une femme est 10% moins cité qu’un article dont le premier auteur est un homme.
– Le conflit travail/famille. « Là où les femmes vont tenter de symétriser leur carrière et leur rôle familial, les hommes vont de leur côté plutôt tenter de les concilier », précise Bernard Fusulier.
L’université est une institution gourmande
« Ces mécanismes sont à mettre en lien avec la trop lente évolution de la société en matière de genre », analyse le chercheur. « La Société reste marquée par une classification, une différenciation et une hiérarchisation du masculin et du féminin. Une situation à laquelle l’Université, pourtant progressiste, n’échappe pas », constate le Pr Fusulier, par ailleurs Président du Comité Femmes & Sciences de la Fédération Wallonie – Bruxelles.
La régulation de la Science est elle aussi pointée du doigt. « L’Université est une institution gourmande (greedy institution) », indique Bernard
« Le nouveau régime de régulation de la science, basé sur l’excellence, nécessite de la part des femmes, comme des hommes, des choix difficiles. La dérive productiviste de l’organisation et de l’évaluation de la Recherche ne joue pas en faveur des femmes », note le chercheur.
« L’université est un espace de concurrence, mais aussi une institution rapace, gourmande qui cherche une disponibilité complète de l’individu. Ce qui correspond à l’image de l’homme qui ,soutenu par leur épouse, peut se consacrer corps et âme à la recherche et à sa carrière ».
Les dérives du « new public management » de la Recherche
En outre, le « new public management de la recherche » exige l’excellence. C’est-à-dire d’être productif, compétitif, mobile, responsable de ses actes. « Les managers ont transformé le critère qualitatif de la recherche en critère quantitatif. Nous sommes entrés dans un régime comptable, productiviste et court-termiste qui esquisse un profil précis: celui de l’homme hyperactif, entièrement investi dans son travail », dit encore le sociologue.
Avec comme corollaire que les jeunes chercheurs font de la gonflette, par exemple en ce qui concerne le nombre de publications. « Ces comportements productivistes, ces dérives en matière de publications mènent à une réduction des prises de risques intellectuels, dont la recherche a pourtant besoin », estime Bernard Fusulier.
Parallèlement à cette fuite en avant, il constate aussi que de jeunes chercheuses pourtant à haut potentiel ont tendance, malheureusement, à se retirer du jeu. Quand elles ne sombrent pas une fatigue professionnelle.
Et ici aussi, les femmes sont moins bien loties que les hommes. Les résultats de l’enquête menée auprès des chercheurs et des chercheuses permanent(e)s du FNRS en mars 2016 sont sans appel.
Si au cours des cinq dernières années, il ressort que 41% des chercheurs concédaient avoir eu des problèmes de burn-out, ce chiffre passe à 54% pour les chercheuses. De même, 46% des hommes y disaient être constamment débordés par leur vie professionnelle. Un chiffre qui concernait jusqu’à 63% les femmes.