L’éolien intelligent

12 juin 2020
Michel Claessens
Temps de lecture : 4 minutes

Les énergies renouvelables ont le vent en poupe, tout le monde le sait, et l’éolien en particulier. C’est en tout cas une priorité pour l’Europe puisque l’Union vise 2050 pour décarboner son économie et atteindre un bilan neutre. En Belgique, avec 1342 éoliennes installées (dont un quart environ en mer du Nord), l’énergie du vent assurait l’année passée près de 10% de la production électrique, loin donc derrière le champion européen, le Danemark, avec 48%. Notre pays est douzième en Europe pour la puissance installée (dont 40% en mer). Mais la production d’électricité éolienne devrait continuer à croître dans notre pays et pratiquement doubler à l’horizon 2030.

Une tendance similaire se développe au niveau mondial : de 4% aujourd’hui, la part de l’éolien dans la production électrique globale devrait doubler dans les vingt prochaines années. Les principaux pays producteurs sont actuellement la Chine, les États-Unis et l’Allemagne.

Une PME bruxelloise dans le vent

Au-delà d’une relative variabilité et imprévisibilité, l’énergie éolienne est aussi pénalisée par sa « volatilité » : en moyenne, sur quatre sites pressentis pour accueillir une ferme éolienne, un seul en général fera ses preuves. C’est dans ce contexte qu’est né le projet européen « Windsider », qui a bénéficié de l’un des premiers financements du Conseil européen de l’innovation, l’EIC.

Comme souvent, la genèse de ce projet est le reflet de parcours personnels. Grégoire Leroy, coordinateur de Winsider, s’est spécialisé très tôt, fort de son master en géographie et climatologie de l’UCLouvain, dans la modélisation de la distribution spatiale des vitesses du vent. « Ces travaux, explique-t-il lors d’une interview confinée, nous ont permis de modéliser les ressources éoliennes à l’échelle régionale (avec une résolution typique de 3 kilomètres). »

Grégoire Leroy a ensuite réussi à entraîner la PME qui l’emploie, 3E, basée à Bruxelles, dans la réalisation du nouvel atlas européen du vent grâce à un gros projet soutenu par l’Union (New European Wind Atlas, NEWA), impliquant 30 partenaires de 8 pays. Publié en 2019, l’atlas est en accès libre et offre une carte européenne des ressources éoliennes à différentes hauteurs ainsi qu’une foule de données pour soutenir la recherche sur les conditions de vent.

Carte des ressources éoliennes terrestres calculée pour le nouvel Atlas européen des vents © NEWA

Science et IA

« Après cette expérience réussie, nous étions prêts », se rappelle Grégoire Leroy, « à développer une plate-forme digitale, combinant données scientifiques et intelligence artificielle, bref un outil d’aide à la décision qui sera mis à la disposition des développeurs et gestionnaires de projets éoliens. Le projet Windsider était né. »

Les méthodes classiques utilisées pour savoir si un site donné possède un « profil éolien », sont très onéreuses car elles supposent de réaliser des études de vents sur plusieurs mois. La plate-forme Windsider devrait proposer le même service à un coût moindre tout en facilitant l’obtention, par les promoteurs d’un projet, de l’agréation par les autorités et, le cas échéant, de financements bancaires.

« Le projet Windsider, qui court jusqu’à l’été 2022, nous permettra d’intégrer les bases scientifiques et l’intelligence artificielle », poursuit Grégoire Leroy. « La méthodologie sera ensuite validée sur une bonne cinquantaine de sites de différents continents, sélectionnés afin d’obtenir une bonne diversité de conditions atmosphériques et de terrain. La modélisation d’un site offshore est a priori la plus facile et les choses se compliquent quand on passe sur terre, car il faut tenir compte du relief, des forêts, des immeubles éventuels, et d’une foule de caractéristiques locales. Vous l’avez compris : l’objectif du projet est de produire des données à haute valeur ajoutée. »

Le projet Windsider offre un accès à des données de haute qualité sur les conditions de terrain ayant un impact sur la ressource éolienne, obtenues notamment par les satellites Sentinel de l’ESA avec une résolution spatiale de 10 mètres © ESA

Visibilité et crédibilité

La méthodologie a cependant ses limites et Grégoire Leroy reconnaît que l’outil de modélisation aura besoin, dans la plupart des cas, de mesures effectuées sur le site candidat à l’installation d’une ferme éolienne. Mais forte de ses bases scientifiques et de l’apport de l’intelligence artificielle qui permettra d’intégrer l’expertise humaine, la plate-forme Windsider devrait pouvoir être utilisée dans le monde entier.

« Nous devrions avoir une version « bêta » (test) à la fin de cette année », annonce Grégoire Leroy. « Nous avons mis sur pied un « user group » de 9 développeurs de projets éoliens situés sur trois continents, qui nous font un retour sur le prototype et nous font part de leurs besoins. »

Au final, Grégoire Leroy reconnaît devoir une fière chandelle aux programmes européens : « Ceux-ci apportent non seulement un financement important, mais ils soutiennent l’innovation, la professionnalisation digitale du secteur éolien ainsi que sa compétitivité », précise-t-il.

« Bien sûr, les procédures sont compliquées et la rédaction de la proposition de recherche a demandé un travail considérable. C’était un peu comme si nous avions dû créer une start-up… »

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