Station polaire Princess Elisabeth Antarctica © IPF

Le Prix de la Belgica récompense Alain Hubert et Jérôme Chappellaz

12 juin 2024
par Christian Du Brulle
Temps de lecture : 5 minutes

Cela fait 125 ans que la Belgica, le navire d’Adrien de Gerlache, qui effectua le tout premier hivernage en Antarctique, rentrait au port à Anvers. « Un hivernage qui fut aussi la première expédition scientifique pluridisciplinaire et internationale organisée dans cette région », rappelle le Pr Didier Viviers, Secrétaire perpétuel de l’Académie royale de Belgique. C’est la vente de ce bateau qui a permis la naissance du Prix de la Belgica.

Alain Hubert (à gauche) et le Pr Jérôme Chappellaz, lauréats du prix de la Belgica. © Christian Du Brulle

Un prix remis tous les cinq ans depuis 1959 et qui est attribué cette année à deux spécialistes des régions polaires : l’ingénieur civil et explorateur belge Alain Hubert et le climatologue français Jérôme Chappellaz.

Si, pour le scientifique français, désormais professeur à Lausanne, ce sont ses travaux sur l’étude des climats du passé lus dans les minuscules bulles d’air emprisonnées dans la glace polaire (des archives climatiques de 800.000 ans!) qui lui valent cette reconnaissance, pour Alain Hubert, les motivations sont autres.

Une station zéro émission

« Ce Prix récompense son engagement comme explorateur polaire exceptionnel et son rôle déterminant d’initiateur de la base belge princesse Élisabeth, première station zéro émission », précise le Pr Viviers. « Autant d’actes qui ont aidé à la réalisation de certains programmes scientifiques et ont donné une vigoureuse impulsion à la recherche antarctique belge. »

Le rôle de station modèle « zéro émission » est au cœur du projet porté depuis plus de 15 ans par Alain Hubert. Un pari qui est aujourd’hui gagné. Il en prend pour exemples deux prouesses d’ingénierie. Outre une structure en bois recouverte de métal et dotée d’une isolation de 53 centimètres d’épaisseur, la Station Princess Elisabeth Antarctica (PEA) mise sur les énergies renouvelables pour son fonctionnement.

Zéro émission pour la production d’énergie

« L’énergie de la station vient du soleil et du vent », détaille l’ingénieur belge. « Lors de la saison estivale, pendant les quatre mois d’ouverture aux scientifiques, les 284 panneaux photovoltaïques fournissent 25 % de l’énergie dont nous avons besoin », explique-t-il, en se référant à la saison 2022-2023. « Les neuf éoliennes fournissent 58 % de l’énergie et les 30 panneaux solaires thermiques, surtout utilisés pour faire fondre la neige et disposer d’eau, font le reste ». Cette année-là, le générateur de secours à fioul n’a été utilisé que pour fournir 1,6 % de l’énergie totale de la station.

Avec ces moyens limités de production d’énergie, une gestion pointue des ressources est indispensable. Cela se fait par ordinateur. Il veille à ce que le niveau des 192 batteries ne descende jamais sous la barre des 40 %. En fonction de diverses priorités établies, on peut ou non recharger son ordinateur, faire la vaisselle, chauffer la station…

« Ce n’est pas comme à la maison où l’électricité est constamment disponible. Ici, elle ne l’est jamais. Si on en a besoin, il faut la demander. Et attendre qu’elle soit disponible. C’est un changement de paradigme! Aujourd’hui, cependant, on doit rarement interrompre nos activités en fonction de la disponibilité de l’énergie », assure-t-il.

Zéro rejet d’eaux usées

Zéro émission pour produire l’énergie nécessaire est une chose. Limiter voire supprimer les autres rejets en est une autre. Ici, c’est la question de l’eau qui est au cœur de la gestion de la station PAE.

« L’an dernier, nous avons produit et consommé 121.000 litres d’eau », reprend Alain Hubert. « De quoi assurer l’équivalent des besoins en eau de 30 personnes, par jour, tout au long de la période d’ouverture de la station. Cette eau vient à 80 % de la neige que nous faisons fondre et qui est traitée (minéralisée) avant d’être consommée. Les 20 % restants sont issus du recyclage de nos eaux usées. »

« Ces eaux usées (grises et noires) sont purifiées dans des bioréacteurs. 20 % sont donc réutilisées, le reste de cette eau pure est rejetée dans une crevasse. Nous ne polluons pas le site. C’est une des recommandations du Traité antarctique ».

A peine 24 kilos de résidus secs

« Au final, il reste environ 1 % d’eau polluée (soit quelques mètres cubes) provenant des bioréacteurs. Nous réduisons cette masse par filtration et ensuite par évaporation. En fin de saison, il ne reste donc qu’un résidu sec. Cette année, cela prend la forme d’un sac de 24 kilos. Un sac qui est stocké sur place avant d’être exporté vers l’Afrique du Sud avec d’autres déchets. »

Bien sûr, un site comme la station princesse Élisabeth sert en priorité les intérêts des chercheurs. Mais ces aspects logistiques, tels ceux de la gestion des énergies et de ses rejets, sont aussi importants. « En réalité, nous sommes des pionniers dans ce domaine en Antarctique », dit encore Alain Hubert. « Nous échangeons nos trucs et astuces avec les autres stations antarctiques. Des collaborations se développent entre les différentes stations, on s’échange des process. Mais je dois bien constater que nous sommes arrivés à quelque chose qui est devenu une référence en matière de gestion d’une telle infrastructure polaire. Et nous pouvons en être fiers », conclut-il.

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