Loutre européenne © WWF

La Belgique, au confluent des populations de loutres d’Europe

12 juillet 2021
par Camille Stassart
Durée de lecture : 6 min

Série (1/5) : « Le retour des animaux sauvages »

Reine des rivières, cette espèce était autrefois présente sur l’ensemble du territoire belge. Après les années 90, la loutre d’Europe (Lutra lutra) s’est toutefois faite extrêmement rare dans nos cours d’eau. Afin de favoriser son rétablissement, plusieurs programmes de conservation ont été menés ces dernières années en Belgique, ainsi que chez nos voisins. Aussi, dès 2012, de nouveaux individus ont été observés en Flandre, région que la loutre avait désertée depuis plusieurs décennies. Démontrant qu’un retour durable de l’animal dans nos contrées est de l’ordre du possible.

Loutre européenne © WWF – Cliquez pour agrandir

Quand les États soutenaient la chasse à la loutre

Carnivore, la loutre se nourrit essentiellement de poissons, mais aussi d’écrevisses et d’amphibiens. À la fin du 19e siècle, les humains en viennent à la juger nuisible pour les ressources piscicoles. Durant des décennies, le piégeage est massivement pratiqué. Un système de primes à la destruction des loutres est même mis en place de 1889 à 1963 en Belgique, ainsi que dans de nombreux autres pays européens.

Individus tués ou piégés entre 1885 et 1969 © Libois et Hallet, 1995 – Cliquez pour agrandir

Le statut de protection internationale octroyé à l’espèce à la fin des années 70 permet d’éviter son extinction. Malgré tout, le déclin des populations s’accentue. « La destruction de son habitat à très grandes échelles, et ce, très rapidement, à partir des années 60, a entraîné une chute continue du nombre d’individus en Europe », informe Céline De Caluwé, bioingénieure en conservation de nature et forêt, et gestionnaire des projets sur la loutre au sein de la WWF.

Ce mammifère étant une espèce semi-aquatique, son territoire s’étend sur plusieurs mètres de part et d’autre d’un cours d’eau, et jusqu’à 40 kilomètres le long de la rivière. Elle profite du milieu aquatique pour chasser, boire et prendre soin de son pelage, mais reste dépendante des berges, où elle établit son nid, et se reproduit.

Aussi, l’urbanisation (drainage des zones humides, bétonisation des berges…) et la pollution des eaux dues aux activités humaines ont eu un impact important sur sa distribution. Jusqu’à sa quasi-disparition dans les années 90.

Il faut attendre 2012 pour apercevoir à nouveau des loutres en Belgique. « Jusque-là, nous disposions seulement d’indices probables (mais non confirmés) de sa présence. Il faut dire que c’est un animal discret, craintif, plutôt nocturne, et solitaire, donc difficile à observer. Mais en 2012, alors que l’on menait une étude sur le castor, on a pu attester, grâce à des photos et vidéos, que des individus s’étaient réinstallés le long de l’Escaut », se souvient Céline De Caluwé.

Des loutres barbotent dans les affluents de l’Escaut

Depuis, des loutres ont été observées dans les polders de Kruibeke, près d’Anvers, ainsi que dans le Canal de Moer. Plus récemment, des preuves de leur présence ont été recueillies du côté de Audenarde.

Le Polders de Kruibeke, la plus grande zone de contrôle d’inondations en Flandre © Sigma plan – Cliquez pour agrandir

Fin 2019 et début 2020, une loutre mâle est apparue le long du Canal de Moer et de la Durme à Lokeren et Waasmunster, et y est toujours présente :

 

Distribution de la loutre en Flandre 2010-2020 © WWF – Cliquez pour agrandir

Pour l’heure, la Flandre abriterait moins de vingt individus . Côté wallon, c’est encore le point d’interrogation. Selon le SPW environnement, seules trois observations ont pu être validées sur base de témoignages crédibles (en 2006 et 2011) ou de photographies manifestes (une en 2020).

Photo d’une loutre de dos, prise en janvier 2020 à l’aide d’un « piège photo » dans la région de Sainte-Ode (province du Luxembourg) © WWF – Cliquez pour agrandir

 

Répartition de la loutre en Wallonie © Libois, 2006 – Cliquez pour agrandir

 

Répartition des loutres en Europe en 2016 © WWF – Cliquez pour agrandir

Des populations frontalières en croissance

On peut toutefois imaginer que le nombre d’observations augmentera dans les années à venir. Les pays frontaliers à la Belgique comptent, en effet, des populations de plus en plus importantes.

La loutre est une espèce territoriale. « Une fois arrivés à maturité sexuelle, les petits quittent leur mère pour partir chacun de leur côté en quête de leur propre territoire. Les loutrons en dispersion peuvent ainsi parcourir jusqu’à 70 kilomètres avant de s’installer à un endroit », fait savoir l’experte de la WWF.

« Dans la mesure où les populations hollandaises se dispersent vers le sud, les françaises vers le nord, et celles d’Allemagne vers l’ouest, on s’attend à ce que la Belgique devienne, à terme, un lieu de reconnexion entre toutes ces populations en expansion. Des analyses ADN ont d’ailleurs démontré que les individus revenus en Flandre étaient issus des populations hollandaises et allemandes. »

Des rivières plus accueillantes

Par ailleurs, beaucoup d’efforts ont été faits pour améliorer la qualité des cours d’eau, et restaurer des habitats. En Wallonie, plusieurs projets LIFE, et en particulier le LIFE-loutre, mené entre 2005 et 2011, ont permis de restaurer la capacité d’accueil des bassins de l’Our, de la Sûre et de l’Ourthe.

« Côté flamand, le Plan Sigma, destiné à protéger le territoire des crues de l’Escaut et de ses affluents, a permis de créer des gigantesques zones inondables, qui sont des lieux favorables à la réinstallation de l’animal. »

Des ponts à loutre en dessous des nationales

Des actions restent toutefois à entreprendre pour assurer le retour de la loutre sur notre territoire.

Comme l’explique Céline De Caluwé, « aux Pays-Bas, où l’on compte une population de plus de 400 loutres, le trafic routier représente la menace numéro 1. On ne comprend pas encore pourquoi, mais les loutres évitent de nager en-dessous des ponts. Elles vont donc préférer remonter la berge et traverser la route ».

En Wallonie, des « loutroducs » ont ainsi déjà été aménagés sous neuf ponts lors du projet LIFE-loutre, leur permettant de franchir la nationale en toute sécurité. Ces passages sont également fréquentés par le putois ou le renard.

Améliorer les habitats des loutres est également nécessaire. D’après le Plan transnational loutre 2011-2021, le bassin de la Semois représente une zone prioritaire à restaurer. « Cela a d’autant plus de sens que c’est par ce bassin que les populations françaises peuvent le plus facilement recoloniser les cours d’eau wallons et luxembourgeois », indiquent les auteurs.

Dans ce cadre, la WWF mène actuellement un projet en collaboration avec des partenaires flamands et wallons. « En Wallonie, notre objectif sera d’améliorer les habitats dans la vallée de la Meuse et dans la basse Semois. En Flandre, on est actif dans le triangle entre Anvers, Malines et Gand. Pour l’heure, on y a déterminé les zones prioritaires, et identifié les objectifs et défis à relever. »

À noter que les actions réalisées en faveur de la loutre seront aussi utiles à de nombreuses autres espèces liées aux milieux aquatiques, comme les poissons et les amphibiens, mais aussi les libellules, et certaines espèces d’oiseaux ou de mollusques.

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