Site archéologique de Mleiha ©MRAH

Une oasis datant de l’Antiquité lève un pan de l’Histoire arabe

12 juillet 2022
par Camille Stassart
Temps de lecture : 6 minutes

Série « Lever un coin du voile sur l’histoire humaine » (2/5)

Niché dans le désert des Emirats arabes unis, à quelque 60 kilomètres de Dubaï, se trouve l’un des plus importants sites archéologiques d’Arabie du Sud-Est. Reconnu comme patrimoine mondial par l’UNESCO, le site de Mleiha abrite les vestiges d’une antique cité marchande. Elle aurait été la capitale du Royaume d’Oman, qui recouvrait alors le territoire actuel des Emirats et une partie de celui d’Oman.

Depuis une dizaine d’année, des travaux de terrain y sont dirigés par Bruno Overlaet, conservateur des collections du Proche-Orient, d’Iran et de la section Islam au Musée Royal des Arts et d’Histoire. Ces fouilles ont permis d’en apprendre plus sur l’organisation sociétale et politique du peuple qui y vivait, dont l’identité demeure toutefois inconnue.

 

Site archéologique de Mleiha © MRAH

Un site découvert par des agriculteurs

Les ruines de Mleiha, qui s’étendent sur deux kilomètres carrés, sont découvertes par hasard dans les années 60, alors que l’endroit est exploité pour la culture de palmiers. Dès les années 70, les premières fouilles débutent.

Depuis lors, de nombreux vestiges y ont été mis au jour : un cimetière accueillant des tombes monumentales, des pièces de monnaie, des poteries, de la vaisselle en bronze et en pierre, des armes, des équipements pour les chameaux et chevaux et autres statuettes, datant du 3e siècle avant Jésus-Christ au 3e siècle après Jésus-Christ.

Si certains objets sont de productions locales, d’autres ont été importés de Méditerranée, de Mésopotamie (l’actuelle Irak), d’Iran, du Yémen, ou encore d’Inde. « Ces derniers sont principalement des biens de luxe qui s’intègrent dans ceux de la culture arabe locale », précise le Pr Overlaet.

Ces trouvailles révèlent que le site était un point de chute pour les caravanes qui faisaient route entre l’Arabie du Nord-Est et la côte d’Oman. Cette ancienne oasis a connu un développement particulièrement fulgurant au 3e siècle avant J.-C., avec l’essor du commerce international entre l’Est et l’Ouest.

Amphores rhodienne et espagnole © Bruno Overlaet / MRAH

 

Equipement en or pour cheval © Bruno Overlaet / MRAH

L’historique de la ville retracée

Depuis 2009, Bruno Overlaet et son équipe fouillent l’endroit plusieurs mois par an. Leurs travaux ont notamment apporté la preuve que la région était gouvernée par un Roi.

« Mleiha était vraisemblablement la capitale de ce royaume. C’est le seul endroit qui réunit des vestiges de toute la période concernée, et où on trouve des bâtiments majeurs, de même qu’un immense cimetière. Des éléments qui indiquent que le site était le centre économique et politique de l’Arabie du Sud-Est », assure le directeur des fouilles.

Au cours des dernières années, l’analyse des objets et des bâtiments découverts ont aussi permis aux archéologues d’affiner la chronologie de la cité. Les amphores à vin, produites sur l’île de Rhodes (Grèce) et retrouvées dans les tombes de Mleiha, ont été utiles pour dater les sépultures. « Une trentaine d’anses portent, en effet, des cachets renseignant le nom d’un magistrat rhodien de l’époque où elles ont été produites, ce qui permet de les dater de manière précise. »

Jusqu’à présent, les archéologues ont été capables d’esquisser l’historique du lieu, du 3e siècle avant J.-C au 1er siècle après J.-C.

Site archéologique de Mleiha © MRAH

Un site déserté à la suite d’un effondrement économique

« Aux 1ers et 2e siècles avant J.-C., il n’existait ni fortifications, ni système de défense important.» A la fin de cette période, Mleiha aurait connu une crise, dont les chercheurs ignorent encore la cause. 

« Toutes les tombes datant de cette époque ont été systématiquement pillées. Par la suite, certaines ont été réparées et réutilisées, indiquant que la population s’est relevée de ces événements. On trouve aussi des traces de nouveaux biens importés de l’Empire romain. Cette crise marque donc une interruption dans le développement de Mleiha, mais ne conduit pas à un changement de culture. »

Durant les siècles suivants, la cité prospère et des forts, ainsi de nombreux palais, sont érigés. Cet essor se termine néanmoins abruptement, et la zone est désertée au cours du 3e siècle de notre ère.

« Cela s’explique par la montée en puissance de la dynastie des Sansanides (224 à 651) en Iran, laquelle avait pour ambition de contrôler les routes commerciales. Cet Empire a, à terme, bloqué les échanges dans la zone. Sans possibilité de commercer, la région a connu un effondrement économique et l’oasis a fini par être abandonnée par sa population. »

Statuettes en bronze: Aphrodite grecque ou romaine (à gauche) et un homme avec un oiseau (à droite) © Bruno Overlaet / MRAH

Prochain objectif : identifier la communauté qui y vivait

L’identité du peuple qui vécut à Mleiha durant six siècles reste encore un mystère pour les archéologues, faute de restes humains à étudier.

« Aucun squelette n’a jamais été exhumé lors de nos recherches…du moins, jusqu’à aujourd’hui ! Lors de notre dernière campagne de fouilles en 2021, on a découvert un tumulus recouvrant une sépulture, en dessous duquel se trouvent trois ou quatre tombes. L’une d’elles est partiellement ouverte, et nous savons que le corps qui s’y trouve est complet et conservé dans de parfaites conditions ! »

La prochaine expédition, de novembre 2022 à janvier 2023, et les suivantes, se concentreront sur l’analyse de ces restes. « On espère récolter davantage d’informations sur les habitants de Mleiha. Nous avons de très grandes attentes concernant ces prochaines campagnes », conclut le Pr Overlaet.

Site archéologique de Mleiha © MRAH
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