On les trouve dans la terre, les plantes, les animaux… et même dans la mer. Leur présence dans le vaste océan n’avait pas trop retenu l’attention jusqu’à ces derniers temps. Les virus sont partout.
On connaissait bien telle ou telle maladie virale des poissons et des grands mammifères marins ou autres organismes aquatiques, mais on n’avait pas vraiment conscience de leur extrême abondance dans les océans et de leur rôle de régulateurs. Ils exerceraient même un rôle sur le réchauffement climatique.
Chaque millimètre cube d’eau de mer en contient des milliards de milliards de milliards : pas moins que 10 exposant 30. Si on se souvient que les chiffres 10 exposant 9 expriment le milliard, ces 10 exposant 30 virus par mm cube ont vraiment de quoi donner le vertige.
Ils sont au moins 15 fois plus abondants que les bactéries dans la mer. Et on en découvre encore régulièrement de nouvelles espèces. En fait, c’est surtout grâce à l’analyse de l’ADN qu’on retrouve dans l’eau qu’il est possible d’identifier de nouveaux types de virus.
Des tueurs en série
Un grand nombre d’entre eux sont communs à la plupart des zones océaniques du monde. Mais d’autres sont spécifiques à l’un ou l’autre endroit ou à un niveau de profondeur. Une des formes les plus abondantes de virus présentes dans les océans est celle des bactériophages. Il s’agit de virus qui s’attaquent à des bactéries et provoquent leur destruction. D’où leur nom, qui signifie « mangeurs de bactéries ».
Ce type de virus, qui correspond à de très nombreuses espèces virales, a été évoqué pour la première fois par un microbiologiste qui examinait des soldats de la Première Guerre mondiale qui souffraient de diarrhée. Les bactéries de l’intestin de ces soldats étaient attaquées par des virus bactériophages et leur équilibre intestinal microbien était ainsi altéré. Certains virus sont donc des tueurs des organismes vivants au sein desquels ils se multiplient.
Ils peuvent ainsi faire beaucoup de tort, mais ils peuvent aussi faire beaucoup de bien, en tuant bactéries et organismes nuisibles. Ce sont donc des régulateurs !
Un équilibre dynamique
L’étude des effets des virus sur les écosystèmes est malaisée, mais on estime qu’ils détruisent chaque jour en moyenne 20 à 40 % des organismes de la vie microscopique marine présente à la surface des eaux. Il est hautement probable qu’en réalité, un équilibre existe entre la masse d’organismes produits et celle que les virus font disparaître.
On voit en effet que lorsque les « proies » microscopiques, telles que le phytoplancton, sont plus abondantes, les virus qui s’y attaquent se multiplient plus activement et détruisent donc de plus grandes proportions. La vie dans les océans n’est pas dans un état figé, mais plutôt en équilibre dynamique.
Cela met aussi en évidence la labilité des systèmes écologiques et le risque de glissement vers des déséquilibres lorsque les conditions environnementales favorisent ou défavorisent de manière excessive une espèce vivante ou un groupe d’espèces.
Une pompe contre le réchauffement
Chose très curieuse, les virus jouent un rôle de « pompe biologique ». La notion de pompe biologique recouvre un ensemble de processus qui conduisent à la séquestration du carbone dans les profondeurs de l’océan, conséquence de l’engloutissement d’une quantité de matières organiques provenant de la surface des eaux. Ce sont des cellules vivantes ou mortes, des matières fécales des animaux marins, des détritus.
En s’attaquant à toutes sortes d’organismes vivants et en les tuant, les virus marins contribuent largement à ce phénomène. En effet, le phytoplancton consomme de grandes quantités de dioxyde de carbone. Ainsi piégé, celui-ci ne se retrouve plus dans l’atmosphère. Les virus, en régulant la quantité de phytoplanctons comme en tuant certains organismes, envoient ces matières carbonées vers les fonds marins.
Aussi étrange que cela puisse paraître, on peut donc dire que ces virus, en évitant à des quantités importantes de dioxyde de carbone de retourner dans l’atmosphère et donc en contribuant à limiter l’effet de serre exercé par ce gaz, jouent un rôle dans le contrôle du réchauffement climatique.
Gardiens de la diversité
Plus étonnant encore, les virus marins semblent réguler la diversité génétique. Des études ont montré qu’au sein d’une même espèce, les virus privilégiaient les espèces dites rares, c’est-à-dire au patrimoine génétique légèrement différent de l’espèce initiale. Les rapports entre espèces rares et espèces abondantes s’inversent alors, ce qui signifie, en termes de diversité génétique, que les gènes des premières sont sauvegardés, alors que leur rareté initiale aurait pu conduire à leur disparition.
Nos connaissances sont plus vastes en ce qui concerne les virus qui infectent les organismes supérieurs. Ainsi, on connaît encore mal, voire pas du tout, le réservoir de certains de virus qui infectent les micro-organismes ainsi que leurs impacts sur les espèces marines qui ont une importance économique. Et pourtant, l’aquaculture prend une place grandissante dans la production alimentaire, des connaissances insuffisantes pourraient donc laisser la porte ouverte à des catastrophes.
Responsables de maladies émergentes ?
Certains de ces virus marins peuvent probablement passer d’un environnement à un autre et peut-être même du milieu marin à un milieu terrestre. Les chercheurs se demandent dès lors s’ils ne jouent pas un rôle dans l’émergence de nouvelles maladies. En tout cas, on en connaît qui peuvent être nuisibles pour l’homme.
Inversement, certains animaux marins peuvent contracter des maladies terrestres à l’exemple de la grippe qui peut affecter les grands mammifères marins. On n’a donc pas fini de découvrir l’importance de ces minuscules organismes.
Photo: Virus marins isolés du phytoplancton (Photo: Jennifer Brum/Tucson Marine Phage Laboratory)