La transition citoyenne, vraiment une affaire de riches ?

12 septembre 2019
par Laetitia Theunis
Durée de lecture : 5 min

Série (3/4) « La transition sur le grill »

Des bobos ! Bourgeois-bohèmes, c’est le préjugé dont sont régulièrement victimes les « transitionneurs ».  À raison, pour certains d’entre eux. Mais la réalité, notamment autour du terme « bourgeois », est plus nuancée. Si la majorité est détentrice d’un diplôme de l’enseignement supérieur, leurs revenus sont par contre fortement hétérogènes. Comme le révèle une recherche menée par Robin Hublart et Bénédicte Shoonbroodt, sociologues à la Haute Ecole Libre Mosane (HELMo), ils appartiennent globalement à la petite classe moyenne.

Leur recherche sur les initiatives citoyennes de transition a été menée de 2016 à 2019. Grâce à un sondage largement diffusé parmi les acteurs du mouvement, les deux chercheurs ont dressé un portrait relativement complet des transitionneurs wallons. Ils ont, entre autres, sondé leur capital culturel et économique.

Un haut niveau d’éducation

Parmi les 105 citoyens interrogés, 54% ont un master universitaire et 29 % un bachelier de haute école. Autrement dit, 83 % du panel sont détenteurs d’un diplôme de l’enseignement supérieur.

Ces résultats confirment le haut niveau éducationnel mis en avant par Emeline De Bouver, sociologue politique, dans le cadre de sa thèse sur la simplicité volontaire défendue à l’UCLouvain en 2015. Parmi les 58 transitionneurs passés sous sa loupe, 97 % avaient un diplôme de l’enseignement supérieur.

A noter également : parmi les répondants à l’enquête menée par Robin Hublart et Bénédicte Shoonbroodt, plus de 50 % s’impliquent en sus dans des mouvements associatifs de lutte pour des causes écologiques, humanitaires ou politiques.

Globalement, appartenance à la petite classe moyenne

Quid de leur capital économique ? Sur 105 répondants, 88 personnes ont accepté de dévoiler leurs finances. Leur revenu net mensuel moyen est de 1646 euros, donc proche du revenu individuel médian des Belges évalué à 1837 euros nets par mois pour un travail à temps plein en 2017.

Plus précisément, 73 % des revenus individuels nets mensuels se situent dans la tranche allant de 1000 à 2500 euros. « Dans cette tranche, 24 % ont un revenu compris entre 1000 et 1500 euros, 25% entre 1500 et 2000 euros et 24% entre 2000 et 2500 euros », expliquent les chercheurs.

La tranche comprise entre 2500 et 3000 euros et celle entre 3000 et 5000 euros ne représentent respectivement que 7% et 3% des revenus mensuels nets récoltés.

Point saillant : pas moins de 17 % des répondants à la recherche HELMo affirment que leurs revenus sont compris entre 0 et 1000 euros.

Un quart des isolés en transition vivent sous le seuil de pauvreté

Parmi le panel, cinq personnes isolées vivent avec un revenu mensuel net inférieur au seuil de pauvreté, fixé à 1.115 euros pour une personne seule. Soit un quart des répondants vivant seuls. Cela représente 6% du total des personnes ayant accepté de révéler leurs revenus.

Quel est leur profil ? « Agées d’une cinquantaine d’années, elles ont toutes un diplôme d’études supérieures dans une filière des sciences humaines. Quatre sont titulaires d’un master et une d’un baccalauréat. Au moment de l’enquête, trois étaient à la recherche d’un emploi et deux étaient occupées à temps partiel, dans le secteur de l’enseignement et de l’associatif », explique Robin Hublart.

La pauvreté guette un ménage en transition sur six

Concernant les ménages, ceux de quatre personnes sont les plus nombreux. Ils représentent 28 % des répondants et leur revenu moyen est de 3156 euros. Viennent ensuite (21%), les ménages de deux personnes avec revenu moyen de 3500 euros, puis ceux composés de 3 personnes (16%).

« L’observation des revenus ménagers permet de déceler la présence de dix ménages (sept ménages de 4 personnes et trois ménages de plus de 4 personnes) vivant avec un revenu net total par mois inférieur à 2341 euros. Ce montant est le seuil de pauvreté pour un ménage composé de deux adultes et de deux enfants de moins de 14 ans. Cela représente 11% du total des 88 personnes ayant révélé leurs revenus. Si l’on ajoute à ces ménages les 6% de personnes isolées vivant avec un revenu mensuel net inférieur à 1115 euros, on obtient finalement une tendance de 17% en situation de risque de pauvreté », analyse Robin Hublart.

« La combinaison des résultats statistiques sur les revenus individuels, les revenus des ménages et sur le niveau d’éducation montre que la transition citoyenne est animée à sa base par une classe sociale au pouvoir économique relativement faible et aux niveaux d’éducation, culturel et d’ancrage associatif relativement forts. »

Peu d’ouvriers et de personnes peu éduquées

L’enquête révèle que l’homogénéité du mouvement se marque fortement tant sur le niveau d’éducation que sur les secteurs professionnels représentés. « Sans être exclusif des personnes en situation de pauvreté économique, la transition citoyenne ne semble actuellement pas toucher et mobiliser les Belges au niveau d’éducation plus faible ou occupés dans des professions du secteur ouvrier », explique le chercheur.

« La transition citoyenne tendrait à développer des cultures peu inclusives des moins éduqués. Elle ne parvient pas à dépasser la ligne de fracture révélée par l’historien et démographe Emmanuel Todd: selon lui, nous assistons aujourd’hui à une nouvelle confrontation entre élite et peuple fondée sur les différences d’éducation davantage que sur les classes sociales, même si les deux sont généralement liés. Malgré l’émancipation et l’ouverture de l’enseignement aux classes populaires, bien des gens n’ont toujours pas réalisé d’études supérieures. » Un peu moins de 30% de la population belge a un diplôme de l’enseignement supérieur.

Des personnes en précarité à la fois participantes et bénéficiaires

De manière générale, les personnes interviewées ont une bonne auto-perception du mouvement des initiatives citoyennes de transition. Elles estiment en effet que les projets locaux de transition sont essentiellement portés par des personnes ayant au moins un diplôme d’études supérieures, un réseau social important et un certain pouvoir d’achat. « Autrement dit, les initiatives locales sont surtout portées par la classe moyenne éduquée. Mais on retrouve aussi des personnes en situation de précarité étant à la fois participants et bénéficiaires de certains projets. Tels que les repair cafés, les marchés gratuits, etc. », conclut Robin Hublart.

 

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