Un triangle de 10 km de côté installé par 300 mètres de profondeur. C’est ce à quoi devrait ressembler le télescope Einstein, le détecteur d’ondes gravitationnelles le plus grand et le plus sensible au monde. En 2024, l’Europe tranchera : il sera construit soit en Sardaigne soit dans l’Euregio Meuse-Rhin. D’ici là, dans le cadre du projet Interreg E-Test, coordonné par l’ULiège, des scientifiques, vont réaliser des études du sous-sol dans les trois régions frontalières entre Belgique, Pays-Bas et Allemagne. Et construire un prototype de miroir ultra-sensible.
Un ambitieux projet d’interféromètre
En 2015, pour la première fois, une onde gravitationnelle, prédite par Einstein, a été détectée. Et ce, par les interféromètres Virgo (situé en Italie) et Ligo (situé aux Etats-Unis). Un nouveau chapitre de l’astronomie venait de s’ouvrir.
La région transfrontalière entre Belgique, Pays-Bas et Allemagne envisage de construire le télescope Einstein, un interféromètre bien plus grand que ses deux célèbres cousins. Tapi sous terre, il devrait être 10 fois plus sensible pour observer des phénomènes proches du big bang et sonder un volume de l’Univers 1000 fois plus grand.
Ce projet démentiel est accompagné d’un budget à la hauteur de ses ambitions. L’investissement se chiffre à 1,736 milliards d’euros pour la création des tunnels (932 millions d’euros), du vide (566 millions d’euros ) et de l’instrument (238 millions d’euros).
Mais ne plaçons pas la charrue avant les bœufs. L’heure est à l’évaluation, sur le terrain, de la possibilité d’y construire cet ambitieux projet. Et à la création d’un miroir permettant d’atteindre cette extrême sensibilité de détection. Ce sont les deux volets du projet préparatoire E-Test, doté quant à lui d’un budget de 15 millions d’euros.
Une étude approfondie du sous-sol
Une des particularités de la région Euregio Meuse-Rhin est la présence de couches de roches déconsolidées en surface. Celles-ci atténuent les ondes avant qu’elles ne pénètrent dans le rocher sous-jacent beaucoup plus dur et plus propice à l’installation des tunnels et des grandes cavités que requerra le projet. Néanmoins, il est primordial de réaliser une étude approfondie du sous-sol pour s’assurer de sa compatibilité avec le projet de Télescope Einstein.
« Nous allons étudier les propriétés mécaniques des roches et repérer les zones de faiblesse ou la présence de failles. Mais aussi évaluer l’écoulement des eaux souterraines. C’est crucial pour positionner les cavités », explique Frédéric Nguyen, professeur de géophysique appliquée au sein du département ArGEnCo de l’ULiège. L’impact environnemental d’une telle structure sera également évalué.
En surface, les infrastructures qui pourraient perturber le fonctionnement du télescope sont facilement identifiables. Il s’agit des éoliennes, des routes, etc. Elles peuvent être cartographiées au départ d’un système d’information géographique.
Par contre, en profondeur, la manœuvre est moins aisée. Les chercheurs se baseront sur un trio d’observations : des forages (de 70 cm de diamètre) réalisés dans le cadre du projet, de l’imagerie géophysique (technique non-invasive) et des analogues de parois rocheuses qui seront échantillonnés et analysés.
L’étude devrait permettre de définir l’emplacement optimal du télescope Einstein dans la région, grande de 1500 km². Mais aussi de le configurer et de le positionner.
Si le projet Eurégio Meuse-Rhin est retenu, un Observatoire du sous-sol sera installé. « En plaçant des capteurs en profondeur, avec une capture des données automatisées, nous serons alors capables d’effectuer une surveillance du sous-sol depuis notre bureau », précise Pr Nguyen.
Des prototypes de technologies uniques au monde
Le projet du télescope Einstein sera titanesque. Imaginez de gros cylindres d’une quinzaine de mètres de haut érigés par 300 mètres de profondeur. Ces mastodontes serviront à déconnecter l’interféromètre du sol, à l’isoler totalement des ondes sismiques qui rendraient les mesures d’ondes gravitationnelles impossibles ou caduques.
« Dans le cadre du projet E-Test, nous allons construire un prototype de cylindre et vérifier qu’il correspond aux spécifications du futur télescope Einstein. Pour ce faire, nous allons développer des isolateurs sismiques à très basse fréquence (qui permettent de déconnecter le miroir des vibrations du sol, NDLR), mais aussi un prototype de miroir suspendu en silicium refroidi à température cryogénique. Il sera moins sensible au bruit que les miroirs des autres interféromètres (VIRGO, LIGO, KAGRA (au Japon)) de façon à améliorer la précision du détecteur. Sa construction va se réaliser dans la plus grande chambre à vide du centre spatial de liège. Ce sera unique au monde et mené à bien en 3 ans, un temps record », explique Pr Christophe Colette, du département aérospatiale et mécanique de l’ULiège.
Et ce n’est pas tout, des lasers ultra-stables, qui n’existent pas encore, devront être créés. De nouveaux composants optiques devront être développés. Et de grands miroirs ultra-lisses (caractérisés par une rugosité extrêmement faible, NDLR), refroidis à une température cryogénique, fabriqués. Une ribambelle de premières et d’avancées techniques.