Des jumeaux numériques et biologiques de cancers du sein pour améliorer les traitements

12 décembre 2023
par Laetitia Theunis
Durée de lecture : 4 min

80 % des femmes souffrant d’un cancer du sein hormonodépendant reçoivent une chimiothérapie pour rien. Pour mieux comprendre ce phénomène de résistance et proposer un traitement adéquat et personnalisé, des chercheurs lancent le projet BiDiTwins, financé à hauteur de 910.000 euros sur 5 ans par l’administration de la recherche de l’UCLouvain. Cette recherche novatrice s’appuie sur des jumeaux numériques et biologiques de cancers du sein.

La plus haute incidence au monde

La Belgique est le pays avec le plus haut taux d’incidence de cancers du sein : une femme sur 8 en sera atteinte durant sa vie. Chaque année, 11.300 femmes y développent cette maladie.

Sa forme la plus courante, qui compte pour environ deux tiers des cas, est le cancer hormonodépendant (RH+/HER2-). Dans ce cas, les cellules cancéreuses sont sensibles aux œstrogènes et à la progestérone sécrétés par les ovaires, mais n’expriment pas le récepteur à la protéine HER2.

Un traitement aux effets contrastés

Lorsque ce diagnostic est posé, la thérapie débute par une chimiothérapie néoadjuvante, c’est-à-dire administrée préalablement à la chirurgie dans l’espoir de faire maigrir la tumeur.

« Actuellement, on l’administre sans savoir si la patiente va répondre. En effet, pour 20 % des patientes, la réponse à ce traitement est positive : lors de la chirurgie, on observe qu’il n’y a plus ou quasi plus de cellules cancéreuses. Mais pour 80 % des patientes, la chimiothérapie néoadjuvante ne fonctionne absolument pas. Et on ne s’en rend compte qu’au bloc opératoire : les cellules cancéreuses sont toujours présentes massivement. Elles sont alors retirées », explique Cyril Corbet, chercheur associé au FNRS au sein du pôle de pharmacologie et thérapeutique de l’Institut de Recherche Expérimentale et Clinique (IREC) de l’UCLouvain.

Ensuite, toutes les patientes reçoivent de la radiothérapie et des traitements endocriniens. Mais là où la différence se marque à nouveau, c’est dans l’espérance de vie en bonne santé. Les patientes résistantes à la chimiothérapie néoadjuvante ont 40 % de risque de développer un stade avancé de la maladie, contre 15 % pour les patientes qui y ont répondu positivement.

Mieux comprendre et prédire

Face à l’usage de ce traitement coûteux et douloureux présentant finalement des bénéfices limités, un consortium de chercheurs a créé le projet BiDiTwins (pour Biological and digital tumour twins). Ils sont spécialisés dans le cancer du sein, la biologie moléculaire et cellulaire, l’imagerie et la modélisation mathématique.

Le premier axe de recherche de BiDiTwins a pour objectif de comprendre les mécanismes à l’origine de la résistance à la chimiothérapie néoadjuvante. Le second est de prédire le comportement de la tumeur face au traitement. Mais aussi, le cas échéant, d’en proposer un autre, plus adéquat, aux oncologues, grâce à des expérimentations menées au laboratoire.

Modèles biologique et numérique

Pour ce faire, les scientifiques construisent deux modèles. L’un est biologique, l’autre numérique.

Sur base des biopsies des tumeurs des patientes, ils cultivent les cellules cancéreuses et forment des organoïdes. « Il s’agit d’un jumeau biologique, d’une mini-tumeur créée au départ de la tumeur de la patiente et qui mime le comportement de celle-ci. » Autrement dit, quand on administre de la chimiothérapie à ce jumeau biologique, il indique si la tumeur mère y est résistante ou pas. « Dès lors, si on parvient à créer rapidement ces organoïdes, on pourra prédire si la patiente répondra au non à la chimiothérapie néoadjuvante. »

Quant aux jumeaux numériques, il s’agit de modélisations mathématiques. Données d’imagerie, données biologiques, marquages réalisés en clinique : toutes les données de chaque patiente sont intégrées. Sur cette base, des équations mathématiques complexes modélisent la tumeur. Et, à terme, elles devraient permettre de prédire la réponse à la chimiothérapie.

Personnalisation de la prise en charge thérapeutique

En Belgique, la chimiothérapie néoadjuvante se déroule toujours en suivant le même schéma. La patiente se voit administrer deux composants ensemble, l’épirubicine et de la cyclophosphamide, selon un certain nombre de cycles. Ensuite, elle reçoit d’autres molécules appelées taxanes.

« Ces 3 types de chimiothérapies sont utilisés chez toutes les patientes. Grâce aux jumeaux biologiques et numériques, on va pouvoir tester différentes combinaisons et séquences d’administration de ces molécules. Et peut-être voir que 4 cycles sont préférables à 3, ou qu’il faut plus de taxanes et moins d’épirubicine chez telle patiente. »

« Jumeaux biologiques et numériques sont intimement liés. Les observations faites sur les premiers alimenteront les seconds et permettront de les affiner. Dès lors, plus le nombre de patientes – issues des Cliniques universitaires Saint-Luc – intégrant le modèle est grand, plus celui-ci peut s’entraîner et être précis. On vise clairement la réalisation d’une médecine personnalisée », conclut Pr Cyril Corbet.

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