Lutter contre l’insomnie chronique grâce à la thérapie cognitive comportementale

13 janvier 2023
par Christian Du Brulle
Temps de lecture : 6 minutes

« Dans le monde, une personne sur dix souffre d’insomnie chronique. Avec la pandémie et les confinements que nous avons vécus récemment, les périodes de télétravail, la situation internationale, les prix de l’énergie, la guerre en Ukraine, les changements climatiques, cette proportion est passée à quasi une personne sur quatre. Et tous les segments de la population sont concernés. »

Charles Morin, professeur à l’École de psychologie de l’Université Laval (Québec) et chercheur au Centre de recherche sur le cerveau de cette même université, est venu dresser le portrait de cette maladie à Bruxelles, dans le cadre de la Chaire du Québec à l’Académie royale des Sciences. Il a aussi, voire surtout, esquissé quelques pistes d’actions pour lutter contre cette pathologie. Dont celle qui a sa préférence: la TCC, la thérapie cognitive comportementale.

Le sommeil, un des piliers de notre santé

« On n’en parle pas assez, mais le sommeil est l’un des trois grands piliers d’une santé globale, aux côtés de la nutrition et de l’activité physique », rappelle-t-il. « Il joue un rôle important sur notre santé physique autant que sur notre santé mentale ». Sans vouloir ternir davantage le tableau, le scientifique rappelle que 40 à 50 % des personnes souffrant d’insomnies présentent également d’autres pathologies, comme des douleurs, de l’anxiété, de la dépression.

« Le diagnostic d’insomnie chronique est posé sur la base de plaintes subjectives qui se rattachent à l’un des trois symptômes classiques : la difficulté de trouver le sommeil en début de nuit, les difficultés à rester endormi au cours de la nuit et les réveils précoces le matin avec l’incapacité de se rendormir », explique le Pr Morin.

« À ces trois plaintes à caractère nocturne viennent aussi s’ajouter des plaintes de dysfonctionnements diurnes. La personne se retrouve confrontée à des baisses d’énergie, à des problèmes de concentration, des manques d’attention qui sont attribués à ses difficultés de sommeil. »

Changement de paradigme

« L’insomnie n’est désormais plus considérée comme étant le symptôme d’une autre pathologie, en l’occurrence la dépression », indique-t-il. « Même si on traite aujourd’hui la dépression de manière efficace, on se rend compte que le symptôme résiduel le plus prévalent reste l’insomnie. Et la persistance de l’insomnie dans ce contexte augmente les risques de rechute pour la dépression. À tel point qu’aujourd’hui, si une personne présente des troubles de l’insomnie pendant plus de trois mois, il faut impérativement traiter ce syndrome. Et là, c’est un vrai changement de paradigme par rapport à ce qui se faisait voici quelques décennies », estime le Pr Morin.

Une psychothérapie brève comme outil thérapeutique

Deux pistes s’offrent au médecin pour lutter contre cette insomnie chronique: la voie pharmacologique et la voie non médicamenteuse, notamment la thérapie cognitive comportementale (TCC). Une approche sur laquelle le Pr Morin a bâti sa carrière au Canada.

La TCC, est une forme de psychothérapie brève qui est axée sur le sommeil. On ne retourne pas dans l’enfance des patients pour voir quelles étaient les problématiques auxquelles ils étaient confrontés à cette époque-là. L’angle privilégié est « ici et maintenant ». Que fait le patient aujourd’hui qui contribue à perpétuer ses problèmes de sommeil?

Pr Charles MORIN de l’Université Laval (Québec) © Christian Du Brulle

Réduire la fenêtre de sommeil

On distingue généralement trois types de facteurs dans l’évolution de l’insomnie. Des facteurs qui prédisposent, d’autres qui précipitent et d’autres, enfin, qui perpétuent l’insomnie. Dans le cadre de la thérapie, le spécialiste se concentre sur les facteurs qui entretiennent l’insomnie.

« On parle de facteurs comportementaux très pratiques », dit-il. « Une personne qui a connu des épisodes d’insomnie pendant la nuit aura tendance à rester plus longtemps au lit le matin ou à aller se coucher plus tôt le soir suivant. Ce ne sont pourtant pas de bonnes idées », estime Charles Morin.

« Le simple fait de passer plus de temps au lit ne va pas prolonger pour autant nos périodes de sommeil. Cela va peut-être simplement amener à plus d’anxiété; celle de ne pas savoir s’endormir. Une des premières recommandations que l’on fait donc aux insomniaques chroniques, c’est de réduire le temps passé au lit, de réduire leur fenêtre de sommeil .»

« On va ainsi créer une pression physiologique sur le besoin de dormir. Une pression qu’on va ensuite moduler petit à petit afin de définir la période optimale de sommeil pour cette personne. L’idée maîtresse, c’est de réduire les périodes au lit pendant lesquelles on ne dort pas. »

Le sommeil ne se commande pas

D’autres habitudes à prendre pour lutter contre l’insomnie concernent l’utilisation des écrans. Notre cerveau ne se met pas immédiatement en mode sommeil lorsqu’on éteint un écran de smartphone ou d’ordinateur . Au contraire, il faut le préparer pour une bonne nuit de sommeil. Lui ménager une période de décompression. « Cela aussi s’apprend », dit Charles Morin.

« Le sommeil ne se commande pas. Si 20 à 25 minutes après s’être mis au lit, on ne dort pas, il est préférable de se lever, d’aller dans une autre pièce et de revenir au lit uniquement quand on commence à somnoler », préconise-t-il. « Il est aussi important de maintenir un horaire régulier de sommeil. Et de se lever à la même heure chaque matin, quelle que soit la durée de sommeil qu’on vient de vivre. Nous déconseillons donc la sieste à l’insomniaque chronique. »

Se méfier de l’anxiété de performance

Le volet cognitif de cette thérapie passe en revue les facteurs psychologiques qui jouent un rôle dans l’entretien de l’insomnie. « Je pense particulièrement à l’anxiété de performance. La peur de ne pas être capable de dormir. La peur des conséquences que pourrait avoir une mauvaise nuit de sommeil sur nos performances le lendemain. »

« C’est pourquoi on demande aux patients de tenir non seulement un journal de sommeil, mais aussi un journal de verbalisation des pensées qu’ils entretiennent quand ils ne dorment pas, le soir avant d’aller se coucher ou la nuit quand ils se réveillent. »

Il faut amener le patient à prendre un peu de recul, à réévaluer la chaîne d’événements qui le réveille ou le maintient éveillé. Ceci pour mieux court-circuiter cette réaction en chaîne. « On invite ainsi le patient à laisser son téléphone portable ailleurs que dans sa chambre et même d’investir dans un réveil-matin. Souvent les insomniaques pensent qu’ils n’ont pas besoin d’un réveil, puisqu’ils sont de toute manière réveillés le matin. Or, un réveil bien réglé, cela supprime une forme de pression nocturne susceptible d’entretenir l’insomnie. »

« Avec la TCC, nous pouvons les guider. Mais au final, c’est le patient qui doit prendre lui-même en charge sa thérapie. Cela demande une bonne motivation, une bonne dose d’efforts aussi. Mais toutes les études scientifiques sur le sujet le montrent: c’est la méthode qui fonctionne le mieux, celle qui permet d’engranger des résultats à long terme », conclut le Pr Morin.

Haut depage