Quand un ingénieur a un problème à résoudre, il analyse la situation, élabore des solutions techniques, réalise des simulations et finalement, trouve une solution adaptée. Ses outils sont plutôt de nature mathématique, physique, chimique, numérique et pas vraiment… psychologique ou socio-anthropologique!
« Dans la pratique, on remarque que nos recettes traditionnelles d’ingénieur ne sont pas toujours les meilleures », concède Olivier Desclée, conseiller « Public Affairs » chez Electrabel. « L’aide de spécialistes en sciences humaines et sociales est alors bienvenue ».
Acceptabilité sociale des parcs éoliens
L’électricien belge en a fait récemment l’expérience. Dans le cadre des partenariats de recherche qu’il entretient avec huit universités belges, il a pu compter sur l’expertise de l’unité de psychologie sociale de l’université de Liège (ULg) pour mieux cerner les attentes et les réticences des riverains de futurs parcs éoliens.
« Au départ, la situation nous semblait limpide », reprend Olivier Desclée. « Pour favoriser l’implantation d’un nouveau parc éolien, nous avons commencé par analyser la situation avec notre approche d’ingénieur. D’un point de vue technique, bien sûr, mais aussi humain. Les riverains étaient-ils prêts à accepter un nouveau parc ? Dans quelles proportions ? Quels arguments avancer ? »
« Des données globales montrent que 87% des riverains de parcs éoliens terrestres ont une opinion favorable en ce qui concerne les énergies renouvelables et les éoliennes. Ces mêmes données montrent aussi que 70% sont méfiants. Nous nous sommes dit qu’il fallait informer largement sur le nouveau projet et ses enjeux pour rallier les citoyens. Le résultat a été catastrophique! Nous avons été confrontés à tout sauf à la rationalité à laquelle nous sommes habitués. Pire. Plus nous informions les riverains, plus l’opposition au projet se renforçait! »
Stéréotypes et visions tronquées
Face à ce problème, l’entreprise a eu recours aux services du Pr Benoit Dardenne, du Département de Psychologie : Cognition et Comportement et du Centre de recherche SPIRAL, à l’ULg.
« Nous avons apporté notre expertise en ce qui concerne les problèmes liés aux stéréotypes », indique le Pr Dardenne. « Notamment une certaine vision tronquée de ce que sont et pensent les « consommateurs écologiques ». Nous avons aussi pu contribuer à améliorer la communication de l’entreprise vers les riverains. Ceci rentre parfaitement dans les missions du Centre de recherche SPIRAL sur la gouvernance « Sciences, techniques et Société ».
Les chercheurs ont décortiqué la situation. Ils ont montré à l’électricien où se situaient ses erreurs, comment y remédier.
Du NIMBY au YIMBY
« Au final, cette collaboration a été bénéfique pour notre entreprise », note Olivier Desclée. « Mais aussi pour les chercheurs et bien entendu pour les riverains ».
Dans ce cas précis, Electrabel a choisi de communiquer autrement. Ce n’est plus l’électricien qui distille l’information, ce sont les riverains eux-mêmes qui en sont les acteurs. « Le choix s’est porté sur la mise en place d’une coopérative pour les riverains ainsi que sur la création d’un blog spécifique», précise Olivier Desclée. Dans le cadre de la coopérative, les riverains ont pu souscrire des actions B d’Electrabel CoGreen scrl pour un total de 1,5 million d’euros.
Le recours aux sciences sociales a permis de transformer un syndrome NIMBY (« Not in my back yard », soit « pas dans mon jardin »), en une attitude YIMBY : Yes, in my back yard!
Ce n’est pas là le seul attrait des sciences sociales dans des domaines qui touchent à l’énergie et donc de prime abord à des problèmes d’ingénieurs.
Comme l’a montré la réunion « LabInsight » intitulée « Smart Grids, smart consumers ? », proposée par le groupe de travail « Sciences humaines et sociales » du réseau LIEU (Liaison Entreprises Universités), les sciences humaines et sociales ont clairement un rôle à jouer dans des domaines où on ne les attend pas nécessairement en première ligne.
L’acceptabilité sociale de l’implantation des éoliennes en est un exemple. La transition vers le recours aux réseaux énergétiques intelligents (Smart grids) également. Elle implique des changements d’attitudes de la part des consommateurs. Tout comme la lutte contre la précarité énergétique, qui ne se limite pas à des analyses de chiffres et de catégories sociales, mais qui gagne à s’appuyer sur une démarche ethnographique fouillée.