Antarctique : nos garants contre la montée du niveau des mers en péril

13 avril 2021
par Laetitia Theunis
Durée de lecture : 5 min

Pas moins de 34 % des plates-formes de glace en Antarctique pourraient disparaître d’ici à la fin du siècle si la planète se réchauffe de 4°C par rapport aux températures préindustrielles. Et cette fonte pourrait entraîner une hausse significative du niveau des mers. Cette vision sombre de l’avenir est le fruit d’un travail réalisé conjointement par l’ULiège et l’Université de Reading (Angleterre).

Un édifice fragile

« La glace qui vient du continent antarctique s’écoule par gravité, de tout son poids, progressivement sur les bords du continent. Cette glace étant plus légère que l’eau de mer, elle flotte. C’est ce qui forme les plates-formes de glace », explique Dr Christoph Kittel, chercheur post-doctorant au Laboratoire de Climatologie au sein de l’Unité de recherche SPHERES de l’ULiège.

« Le rôle de ces plates-formes de glace est identique à celui des piliers latéraux de la Cathédrale Notre-Dame de Paris. Sans eux, les murs tombent. Sans les plates-formes de glace, des quantités énormes de glace continentale antarctique se répandront directement dans l’océan, entraînant une augmentation importante du niveau des mers. »

Or, la hausse des températures atmosphériques menace leur existence. « En été, sous l’action du réchauffement, la glace fond en surface des plates-formes, et de l’eau liquide s’infiltre alors dans la glace où elle agit comme un marteau-piqueur, cassant la glace en morceaux. S’il regèle rapidement, l’eau fait office de ciment qui consolide l’édifice. Mais à chaque fois qu’elle fond, de nouvelles voies se créent, et petit à petit, la glace se fragilise.»

En 2002, la plate-forme glaciaire de Larsen B (nord-ouest de la mer de Weddell) s’est rompue de façon spectaculaire. En l’espace d’une poignée de jours, elle a totalement disparu, libérant quelque 3250 km2 de glace – soit une superficie analogue à celle de la province de Liège – qui se sont déversés dans l’océan.

Cet exemple constitue l’un des plus grands effondrements jamais observés. L’événement fut largement étudié, ainsi que ses conséquences. Ce qui a permis de mettre en évidence le rôle essentiel joué par les plates-formes de glace.

Time-lapse (du 31 janvier au 13 avril 2002) de la rupture de la plate-forme glacière Larsen B © Nasa – Cliquez pour agrandir et faire défiler les images

Quatre zones à haut-risque

Au moyen du modèle climatique MAR développé à l’ULiège, l’étude menée par le Dr Kittel a permis d’identifier les quatre plates-formes les plus à risque de rupture. Trois sont situées sur la côté ouest  de l’Antarctique – Larsen C (voisin de Larsen B), Wilkins et Pine Island – tandis que la plate-forme de glace de Shackleton est située sur la côte est.

« D’ici 100 ans, on peut craindre qu’elles aient toutes les quatre entièrement disparu. Leur rupture ne sera certainement pas subite, mais progressive. Comme le fut celle de Larsen B, avec des premiers bouts cassés en extrémité de plate-forme dès 1994, puis une accélération 8 ans plus tard », poursuit le climatologue.

Carte des plates-formes glaciaires en Antarctique pour lesquelles d’importantes quantités de fontes sont prévues dans un climat de 4°C plus chaud que les températures préindustrielles, et donc potentiellement vulnérables. Les cercles orange montrent des plates-formes précédemment identifiées comme résiliente à la fracturation par l’eau de fonte alors que les cercles rouges montrent celles qui sont vulnérables selon la dernière étude du Dr Kittel © Gilbert & Kittel, Geophysical Research Letters, 2021- Cliquez pour agrandir

Des risques sous-évalués

Dans ses modèles et rapports, le GIEC prend-il en compte les risques liés à la rupture de plates-formes de glace ? Jusqu’ici, selon le Dr Kittel, ce n’était pas le cas. Ce sera chose faite dans le prochain rapport. Le chercheur a, par ailleurs, publié récemment une étude qui suggère que les changements climatiques en Antarctique pourraient avoir été sous-estimés dans les précédents rapports du GIEC à l’horizon 2100.

« Selon les précédents modèles du GIEC et leurs différentes incertitudes, d’ici 2100, l’Antarctique devrait contribuer à modifier le niveau marin de – 7 cm (dans le cas d’un scénario avec un réchauffement assez faible, de la neige s’accumulerait sur le continent, de sorte que l’Antarctique stockerait de la masse) à + 30 cm (dans le cas d’un scénario chaud, le continent Antarctique perdra de la masse, entraînant une hausse du niveau marin) », poursuit le Dr Kittel.

« Nos premières estimations de l’impact de la désintégration des plates-formes de glace prédisent une augmentation du niveau des mers de 2.8 cm. Or, cette étude, qui sera la seule sur laquelle va se baser le prochain rapport du GIEC, a sous-estimé le nombre de plates-formes qui vont se désintégrer. Il est donc possible que l’effet soit bien plus important encore qu’une hausse de 2,8 cm, de sorte que seules des valeurs positives soient possibles pour la modification du niveau marin due à l’Antarctique. »

La modélisation du processus complexe de rupture des plates-formes glacières n’en est qu’à ses débuts. A cette recherche, viendra se greffer sous peu une étude de la dynamique glacière.

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