L’Institut des sciences humaines et sociales de l’Université de Liège (ULg) a cherché à comprendre comment les familles migrantes transforment la Belgique francophone. Mais aussi leurs sociétés d’origines. Au Congo, Maroc, Salvador.
Éditées par les Presses universitaires de Liège, les «Villes connectées» rendent compte de la richesse des échanges scientifiques qui ont clôturé le programme multidisciplinaire Tricud financé par la Fédération Wallonie-Bruxelles. Le livre présente les résultats des recherches menées par quatre doctorants, entre 2009 et 2014. Enrichis de l’apport de chercheurs spécialisés en transnationalisme, dynamique identitaire et diversité culturelle.
Pour les experts de l’ULg Hassan Bousetta, Sonia Gsir, Marc Jacquemain, Marco Martiniello et Marc Poncelet, les analyses invitent à se prémunir contre l’idée que la rencontre et la coexistence de populations différentes dans les espaces urbains se joueraient uniformément sur le mode de la conflictualité, du rejet. Le contact interculturel s’exerce par le partage, la création artistique et culturelle, le rapprochement et l’éloignement.
Le contre-pied des propos répandus
Petar Kovincic, doctorant à la Faculté des sciences humaines et sociales de l’ULg, a étudié l’évolution des rapports entre population autochtone et populations d’origine immigrée en Belgique.
«Notre hypothèse affirme que les relations entre la majorité et les minorités issues de l’immigration sont devenues plus pacifiées durant les deux dernières décennies. Elles prennent ainsi à contre-pied aussi bien les implications du courant majoritaire sur les attitudes que le discours dominant dans les médias.»
«Les générations nées après le début des deux grandes vagues d’immigration d’après-guerre en Belgique, qui ont grandi dans des milieux plus hétérogènes ethniquement et culturellement, devraient être plus enclines à considérer cette hétérogénéité ethnique et culturelle comme naturelle et non problématique.»
Mais dans les grandes villes, notamment à Bruxelles, les populations éloignées socialement ont de moins en moins de possibilités de se côtoyer, de se socialiser au quotidien. La ségrégation sociale, et donc ethnique, particulièrement forte du système éducatif, ne favorise pas les contacts interethniques.
L’amitié réduit la distance sociale
Pour vérifier si l’augmentation de la fréquence de contacts interethniques a rendu la population belgo-belge de moins en moins hostile envers les minorités d’origine immigrée, Petar Kovincic s’est appuyé sur l’European Social Survey, l’Eurobaromètre, la Belgium General Election Study et l’European Values Study. On pourrait affirmer que l’écart entre l’attitude des aînés de plus de 50 ans et leurs cadets envers les populations d’origine immigrée serait dû à l’augmentation du sentiment d’insécurité avec l’âge. La vieillesse renforçant la probabilité de trouver la présence d’étrangers anxiogène.
«Il n’est pas très probable que la distance sociale ait commencé à augmenter avant les années 1980, c’est-à-dire avant que le thème ne soit invité dans les campagnes électorales», estime le doctorant en sciences politiques et sociales. «Une première analyse des données d’enquêtes disponibles pointe l’importance du climat politico-idéologique. Les données ne laissent pas de place au doute. On observe, dans l’ensemble, une diminution de la distance sociale. La distance sociale est la plus fréquente envers les Roms et les musulmans, catégories qui ont été affublées de stéréotypes négatifs les plus prononcés dans les entretiens que nous avons menés. La catégorie musulmans est de nature plus ethnoculturelle que confessionnelle.»
Faute de disposer d’enquêtes longitudinales, Petar Kovincic ne peut pas dire que les générations nées après la guerre sont mieux disposées envers la diversité culturelle.
«Nous pouvons confirmer l’existence du lien entre le fait d’avoir des amis d’origine immigrée et la distance sociale. Il n’est pas déraisonnable de supposer que l’on soit bien plus réceptif aux discours populistes sur la menace immigrée lorsqu’on ne possède aucun point de référence permettant de les contredire. Et quel serait le point de référence plus pertinent que les immigrés en chair et en os, que l’on connaît intimement et auxquels on fait confiance?»