Demain, des bactéries pourpres dans l’assiette ?

13 juin 2023
par Laetitia Theunis
Durée de lecture : 4 min

Développer de nouveaux aliments sains et protéinés à base de biomasse de bactéries pourpres comme alternatives durables aux produits animaux. Envisager la meilleure façon d’industrialiser le procédé et justifier qu’il est économiquement viable. Ce sont les objectifs de PROTEBoost, un projet ambitieux inclus dans le portefeuille de projets FoodWal. Il est coordonné par Baptiste Leroy, professeur de protéomique et microbiologie à l’UMons. Et mené en collaboration avec le Centre d’investigation clinique en nutrition (CICN) de l’UCLouvain, le laboratoire TIPs (Transferts, Interfaces et Procédés) de l’ULB, le Smart Gastronomy Lab de l’ULiège, Materia Nova, le Celabor et Multitel. En tout, 6 doctorants et un postdoctorant viennent d’être engagés pour 4 ans.

Les défis de la production microbienne

« Pour produire des bactéries pourpres à des fins alimentaires, leur source de nutriments doit également être de qualité alimentaire. Pour que le procédé soit durable, ces sources de nutriments doivent être des sous-produits qui ne sont pas encore valorisés », explique Pr Leroy.

« C’est le cas de la mélasse de betterave, du lactosérum ou encore des digestats d’un certain nombre de produits agroalimentaires. Lorsque les déchets alimentaires sont biométhanisés afin d’en retirer du méthane, d’autres composés organiques sont également produits. Tous ceux-ci constituent des sources intéressantes de très bons nutriments pour les bactéries pourpres. »

« Nos challenges, à Mons, sont de découvrir tout le potentiel des digestats issus de l’industrie agroalimentaire comme sources de nutriments, d’optimaliser les procédés afin qu’ils soient rentables économiquement, et d’améliorer la qualité de la biomasse produite. En effet, si les bactéries pourpres peuvent être très riches en protéines, la qualité et la teneur en protéines dépendent de leurs conditions de culture. Une forte teneur en acides aminés essentiels renforcerait également l’intérêt de consommer ces bactéries. Nous allons également explorer d’autres propriétés nutritionnelles comme les acides gras polyinsaturés et certaines vitamines pertinentes pour l’alimentation humaine, comme la B12 », précise le Pr Leroy.

Après deux mois de travail, l’équipe montoise a déjà bien avancé sur la sélection des conditions de culture et découvert de nouveaux sous-produits non anticipés lors de la préparation du projet, qui seront soumis au banc d’essais.

Changer les habitudes de consommation

Cette biomasse bactérienne, comment la traiter de la façon la plus naturelle possible et l’intégrer dans des aliments finis sains ? Le Smart Gastronomy Lab (Uliège) (SGL) est chargé de répondre à cette question. Mais aussi de voir ce qui est accepté par le consommateur, ce qui l’est moins, ce qui ne l’est pas du tout. Et d’identifier les aspects à modifier pour apporter une structure plus agréable au palais.

L’idée est de développer de la biomasse fraîche de bactéries pourpres. L’aspect frais, donc non séché, est très important. En effet, de précédentes expériences menées sur la spiruline, un aliment issu de cyanobactéries du genre Arthrospira, des bactéries photosynthétiques microscopiques bleues, séchées et broyées, ont révélé que « le séchage conférait des arrière-goûts très désagréables », explique Dre Dorothée Goffin, bioingénieure et directrice du SGL.

« Le but est que ces produits deviennent, dans le futur, des alternatives à la viande dans un monde à la densité de population grandissante où on aura besoin de méthodologies plus durables pour aller chercher des protéines. Nous essayons d’anticiper, de créer de nouvelles filières, toujours en intégrant le consommateur, car, au final, c’est lui qui va consommer les produits », explique Dre Goffin.

Ce sont souvent les mêmes produits qui finissent dans le caddie du supermarché. Le consommateur sort rarement de sa zone de confort en achetant des produits inconnus. « C’est pourquoi, pour ce nouvel aliment à base de bactéries pourpres, il faudra bien réfléchir à la manière dont il se positionne, à comment l’amener au consommateur, à comment convaincre ce dernier de son intérêt, de sa durabilité et de ses bénéfices pour la santé», poursuit-elle.

Pas un faux steak

A quoi ressembleront ces futurs aliments à base de bactéries pourpres ? Pour Dorothée Goffin, il ne s’agira pas forcément d’artefacts de viandes, mais plutôt de nouveaux produits protéinés, dont on ignore encore la forme et l’aspect. « L’idée est de remplacer le steak par une alternative bactérienne qui va prendre sa place dans l’assiette, mais pas créer un faux steak avec les mêmes caractéristiques que le vrai. »

« Si l’on essaie d’imiter l’aliment à remplacer, en règle générale, il faut alors avoir recours à des outils comme des additifs chimiques pour donner de la texture et du goût, voire pour cacher le goût. Or, nous, nous ne voulons travailler qu’avec des produits naturels. »

La création de l’aliment s’accompagnera d’une large réflexion sur sa cuisson optimale. « Il faudra certainement développer des techniques de cuisson spécifiques, mais aussi des techniques pour texturer ces protéines sans les dénaturer : la recherche scientifique a un grand rôle à jouer pour concevoir ces aliments du futur », conclut Dre Goffin.

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