Refinancement de l’enseignement supérieur : et si on doublait les… allocations familiales?

13 août 2014
Par Paul Nihoul, Professeur de droit, UCL ; Vincent Vandenberghe, Professeur d'économie, UCL ; Vincent Yzerbyt, Professeur de psychologie sociale, UCL
Temps de lecture : 6 minutes

CARTE BLANCHE
 
Qu’on se le dise : l’enseignement supérieur fera couler beaucoup d’encre sous la législature qui s’ouvre. En cause, le problème du financement face à la volonté d’un nombre croissant de jeunes de bénéficier d’un enseignement supérieur qui leur permette d’exercer durant leur vie un métier assurant confort matériel et épanouissement personnel. Nous appuyons leurs demandes. Un pays ne peut vivre sans un enseignement supérieur financé correctement. La qualité d’un tel enseignement garantit l’avenir de chacun, et celui de tous.

 

Or, que constate-t-on en Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB)? Dans les universités et dans les hautes écoles, le financement par étudiant a diminué d’une façon drastique au cours des dernières années. Dans le même temps, les charges ne faisaient que croître. Des dépenses qui augmentent, des recettes qui diminuent : à terme, c’est l’impasse.

 

Le problème n’a pas échappé à nos édiles. Mais ces derniers sont confrontés à une double contrainte : la limite des ressources budgétaires en FWB et le souhait de ne pas augmenter le minerval. Un souhait porté par les étudiants et leurs enseignants : dans la perspective du service public auquel nous sommes très attachés, l’accès à l’enseignement supérieur, surtout de la population moins favorisée, commande de ne pas augmenter le coût des études.

 
Désigner l’intrus n’est ni juste ni efficace

 

Pour sortir de cette situation difficile, la tentation existe de « désigner l’intrus ». On entend dire que «les étudiants étrangers bénéficient de notre éducation sans participer à son financement ». Cet argument est une manière indirecte de faire porter par l’Europe le poids de difficultés que nous éprouvons. Une telle attitude n’est ni juste ni efficace.

 
Le message central de cette carte blanche est que les règles européennes comportent des dispositions qui permettent de résoudre nos difficultés, pour autant que nous réformions la manière dont nous finançons le coût des études avec l’argent public.

 
Réorienter le financement public du coût des études

 
En réalité, la difficulté de la FWB provient d’un malentendu. Le minerval est bas chez nous – 835 euros à l’université – pour assurer un large accès. Dans ce calcul, notre législateur a pris en compte le coût global : les droits d’inscription, bien sûr, mais aussi les autres dépenses inévitables : livres, syllabus, déplacements, fournitures scolaires, éventuellement logement. Ces dépenses varient de 4000 à 8000 euros par an.

 
Pour assurer que la dépense globale reste raisonnable, le législateur a agi sur l’élément facile à contrôler : le montant du minerval. Parfaitement cohérente, cette construction a été happée par le droit européen avec l’intégration dans l’Union. Au sein de cette dernière, une règle est intangible : l’interdiction de réclamer aux étudiants européens un montant supérieur à celui demandé à nos propres étudiants. Cette règle a produit les effets que l’on sait : afflux d’étudiants étrangers non financés par leur pays d’origine, augmentation des dépenses, difficulté à maintenir la qualité, etc.

 
Que faire ? Il faut voir qu’avec l’intégration européenne, nous devons adapter nos concepts et réorienter notre façon d’affecter l’argent public au financement du coût global des études. Pour le dire en bref, même si c’est un peu technique :

 

    • – Au-delà du minerval, il faut considérer le coût global des études à charge des étudiants et de leur famille – la seule donnée qui compte en définitive ;
    • – Il faut augmenter les allocations familiales qui sont attribuées aux familles résidentes de la FWB pour les jeunes de plus de 18 ans inscrits dans un établissement d’enseignement ;
  • – Il faut augmenter d’autant les droits d’inscription/le minerval pour tous les étudiants du supérieur, résidents et non-résidents.

Pour les étudiants de FWB, une opération neutre et un horizon européen renforcé

 

Au titre de sa politique sociale ou familiale, la FWB peut décider de couvrir tout ou une partie du coût des études par une augmentation des allocations familiales réservées, comme c’est déjà le cas, aux étudiants de 18 à 25 ans inscrits dans un établissement d’enseignement supérieur reconnu par la FWB. Libérées de ce coût, les familles peuvent supporter une augmentation équivalente des droits d’inscription.

 

De son côté, la FWB peut diminuer d’autant les sommes versées aux établissements. Les allocations familiales ayant été communautarisées, l’allocation majorée serait donc financée par la FWB. Sur le plan financier, l’opération proposée est parfaitement neutre pour les étudiants ayant un degré suffisant d’intégration dans la FWB : le coût des études n’augmente pas pour eux.

 

Quid des étudiants européens ? Les règles sont inflexibles sur les droits d’inscription : aucune différence entre nos étudiants et les autres. En revanche, une clause d’intégration peut être prévue dans les allocations fournies au titre de la politique sociale ou familiale. Cette clause permet de conditionner le versement de l’allocation à l’existence d’un lien entre le bénéficiaire de l’aide et la collectivité qui la finance.

 

Ainsi, il n’est pas possible à une personne vivant dans un Etat membre de s’installer dans un autre et d’y bénéficier immédiatement, et automatiquement, des allocations qui sont versées aux personnes relevant de cet Etat membre.

 

Bref, les étudiants européens dont les familles sont non résidentes et/ou sans lien par le travail avec la Belgique paient les droits d’inscription augmentés, mais ne bénéficient pas de l’allocation majorée.

 

Si l’opération est sans impact pour nos étudiants, elle est positive pour la FWB. Seules reçoivent des allocations familiales les familles justifiant d’une certaine intégration. L’enseignement est ainsi financé par ceux qui en bénéficient, et les droits d’inscription récoltés peuvent être consacrés à l’amélioration de la formation.

 
A titre d’illustration, une majoration des allocations familiales de 1000 euros et une augmentation équivalente du minerval permettraient, sur la seule base de l’apport complémentaire des non-résidents issus de l’Union, de refinancer notre enseignement supérieur à hauteur de 25 millions par an. Rien que dans les universités, cela ouvre la possibilité d’engager près de 150 professeurs supplémentaires.

 
Autre atout de la proposition : un soutien renforcé à se former hors de la FWB ! Dans le monde, et singulièrement au sein de l’Union, la mobilité étudiante est amenée à se développer. Le projet européen a beaucoup à y gagner, tant cette mobilité contribue à l’intégration culturelle, politique et économique.

 
Pourtant, comme à peu près rien n’est en place pour financer les étudiants mobiles, des formations à l’étranger sont aujourd’hui délaissées pour cause d’un faible soutien financier et de coûts souvent plus importants qu’en FWB. La mesure évoquée ici devrait mitiger ces difficultés.

 
En somme, une telle approche répond parfaitement les objectifs de plus grande transparence des coûts réels et de refinancement de notre enseignement supérieur, tout en rendant accessible un plus large éventail de lieux de formation hors FWB. Elle permet à nos étudiants de poser des choix éclairés en disposant des moyens de les assumer, tout en augmentant la capacité des établissements de notre fédération à remplir leurs missions.

 
Notes:

Cette carte blanche nous a été communiquée par le Professeur Yzerbyt.

Le titre est de la rédaction de Daily Science.
Photo © Alan Levine.

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