Série (4) « Sciences et coopération »
Si la Colombie possède un potentiel énorme en matière d’élevage de moutons, son approche ne lui permet pas encore d’en tirer le meilleur.
Une constatation qui a poussé Nathalie Kirschvink et ses collègues de l’Université de Namur (UNAMUR) et de l’Université de Liège (ULg) à mettre sur pied un projet de collaboration avec l’Université Nationale de Colombie.
Leur objectif commun ? Établir ensemble des guidelines afin d’améliorer les retombées du secteur ovin.
Un refus qui donne naissance à un projet de cinq ans
C’est suite à une demande de l’Université Nationale de Colombie que l’idée de ce projet est née. Une demande à laquelle l’Université de Namur ne souhaitait pas répondre…
« En 2010, l’université possédait un centre d’insémination animale et nous avons reçu une demande d’envoi de semences de la part de la Colombie. Avant d’y répondre, nous nous sommes renseignés sur les pratiques locales et nous avons constaté qu’il n’existait aucune structure pour les élevages de moutons : ils étaient simplement placés dans des prairies et les Colombiens laissaient faire la nature. Or l’insémination ne peut se faire que dans des élevages où la reproduction est contrôlée », explique le Dr Nathalie Kirschvink, professeur de physiologie animale en médecine vétérinaire .
Pas question cependant pour les scientifiques namurois de simplement refuser la demande de leurs homologues colombiens. Ils décident de se rendre sur place.
« Nous voulions discuter avec eux afin de savoir comment les aider à combler cette absence de structure. Ce qui nous a permis de constater que la Colombie a un potentiel énorme en matière d’élevage, de production de viande et de laine. Elle manque juste de savoir-faire sur le terrain. »
Un centre d’investigation et des fermes-pilotes
De retour à Namur, Nathalie Kirschvink , Marianne Raes et leurs homologues colombiens mettent sur pied un projet de cinq ans, financé par la coopération belge (ARES ).
L’implication de chercheurs, d’étudiants et des acteurs de terrain a permis un déroulement en deux temps :
1. La création d’un centre d’investigation au sein de l’université nationale. Un troupeau composé des quatre principales races de moutons destinés à produire de la viande a été composé et étudié.
« Ce premier volet leur a permis de faire un état des lieux de la pratique en Colombie afin de voir comment il était possible d’adapter nos « guidelines » chez eux. Sur place, les conditions d’élevage sont bien différentes : les hivers ne sont pas rudes, les bêtes ne doivent donc jamais être hébergées, par exemple. Par ailleurs, l’élevage est beaucoup plus familial, il n’existe pas d’élevage de masse. Ce sont des familles qui élèvent une dizaine de moutons pour répondre à leurs besoins et à ceux de leurs voisins. Les routes ne sont pas toujours accessibles pour le transport de bêtes, etc. ».
Plus concrètement, il s’agissait de déterminer comment et quand aider les animaux à se reproduire, comment s’assurer qu’ils ne manquent de rien d’un point de vue alimentaire, quand et comment les traiter contre des maladies.
D’autre part, des recherches ont été menées sur les parasites gastro-intestinaux qui pullulent dans les cheptels. Là aussi tout était à refaire : le cycle d’un même parasite n’étant pas le même en Colombie qu’en Europe, notamment à cause des différences de climat.
« L’idée était d’identifier les moments où les animaux sont les plus infestés, mais aussi d’analyser l’efficacité des antiparasitaires classiques. Une étape qui nous a permis de proscrire l’utilisation d’une série de molécules antiparasitaires tant les parasites y étaient résistants».
2. La mise en place de sept fermes-pilotes afin de tester les guidelines établies grâce aux études réalisées dans le centre d’investigation.
« Ces fermes ont également servi de centres de formation pour les agriculteurs des environs. Ils y avaient accès à des informations théoriques ainsi qu’à des ateliers pratiques. Les techniciens d’élevage, membres d’associations locales d’agriculteurs, ont aussi été conviés pour qu’ils puissent faire le relais entre l’université et les agriculteurs habitant trop loin des fermes-pilotes. »
Une collaboration efficace
La clé de ce projet ? La mise en place d’une collaboration étroite entre les universités belges et l’université colombienne.
« Il n’était en effet pas question d’arriver avec nos méthodes et de les dicter à nos homologues. Nous avons travaillé de manière à ce que les chercheurs colombiens élaborent eux-mêmes leurs « guidelines », et ce en collaboration avec tous les acteurs de la chaîne : des agriculteurs, des techniciens d’élevage, des vétérinaires, des membres du ministère de l’Agriculture… Résultat : lorsque les chercheurs ont voulu mettre le résultat de ce travail en pratique, tous les acteurs de terrain se sont prêtés au jeu sans protester», précise Nathalie Kirschvink.
L’engouement a même dépassé les frontières puisque ce projet s’est terminé par un congrès international sur l’agriculture ovine en Amérique du Sud. Il ne reste plus qu’ à transmettre cet enthousiasme à l’ensemble des éleveurs de moutons colombiens…