Une vie meilleure loin du Cap-Vert

13 août 2024
par Raphaël Duboisdenghien
Temps de lecture : 4 minutes
“Partir, revenir et faire circuler”, par Élisabeth Defreyne. Editions Academia. VP 34 euros, VN 26,99 euros

Le Cap-Vert est une terre d’émigration. Quelque milliers de natifs de l’archipel vivent en Belgique. Ils ont quitté une de ces îles volcaniques situées à quelque 450 kilomètres des côtes de l’Afrique de l’Ouest. Dans «Partir, revenir et faire circuler» aux éditions Academia, la docteure en anthropologie Élisabeth Defreyne témoigne de la vie de Capverdiens rencontrés sur leur île, en Belgique et au Grand-Duché du Luxembourg. Les textures, couleurs et résonances de la langue créole sont omniprésentes dans son livre.

Disponible pour partir

«Élisabeth Defreyne nous entraîne dans la vie quotidienne, dans les stratégies, les espoirs, les désirs de familles capverdiennes face à la migration», explique l’anthropologue Andréa Lobo, professeur à l’Universidade de Brasília (Brésil). «L’une des catégories centrales apportée par cette ethnographie est la notion de ‘disponibilité à partir’. En s’appropriant cette idée, si révélatrice du monde capverdien, l’auteure fait découvrir au lecteur toute l’atmosphère socioculturelle et historique qui permet à la société de se reproduire par le biais de la circulation. En abordant l’univers familial, elle montre aussi une logique de reproduction à partir du mouvement qui est générationnelle. Et dans laquelle la possibilité de se déplacer est une donnée à part entière.»

En 2008, la chercheuse à l’UCLouvain a passé près de cinq mois consécutifs dans le nord de l’archipel, sur l’île de Santo Antão, pour enquêter sur le tourisme embryonnaire. Elle y est retournée dans le cadre de ses recherches doctorales après avoir contacté des Capverdiennes à Bruxelles, à Anvers et au Luxembourg. Au total, Élisabeth Defreyne est restée quinze mois dans cette île aux conditions géoclimatiques difficiles.

Une aventure pour les hommes

«Nombreux étaient les hommes qui me disaient à propos de leur départ, je voulais partir à l’aventure», raconte l’anthropologue. «Cette rhétorique typiquement insulaire révèle comment, par le récit de son départ, l’homme construit aussi un discours sur sa masculinité. Les hommes, libres ou libérés des contraintes du foyer, semblaient davantage préparés – au sens presque d’autoriser – à tourner leur regard vers le dehors.»

«C’est toujours quelque chose de mieux qui met les gens en mouvement», ajoute la chercheuse. «Gagner plus, offrir plus à sa famille, réaliser un meilleur projet, connaître plus, s’émanciper aussi. Malgré un contexte de survalorisation de la mobilité. Et bien que certaines îles aient connu un mouvement d’émigration massivement féminine, les femmes ont, très certainement à un moment donné, été empêchées de partir.»

Un combat pour les femmes

Vivant au Luxembourg, Baptista se souvient, en créole, que son père, un marin souvent absent, ne voulait pas qu’elle parte. L’émigration était seulement pour les fils. Pas pour les filles qui devaient endosser des tâches domestiques pesantes. Qui étaient soumises à des interdictions de sortie. Même durant les fêtes populaires. Des souvenirs qui marquent encore la vie d’adulte de Baptista.

Rencontrée à Bruxelles, Maria avait 5 enfants à 23 ans. Son mari refusait qu’elle prenne la pilule. Il disait que c’était pour les femmes peu sérieuses qui découchent. «Partir», confie-t-elle à la chercheuse, «était la seule solution pour ma liberté. Pour ne plus être une femme soumise.»

Mais partir exige des démarches stressantes. L’aide financière d’un large réseau de contacts familiaux, amicaux, sociétaux.

Solidarité et mouvements

Arrivée en Belgique, il y a plus de 20 ans, Margarida saute du créole au français en passant par le néerlandais. Ses deux filles et leur père l’ont rejointe. Femme de ménage, elle subvient seule aux besoins de la famille à Anvers, où vit la majeure partie des Capverdiens en Belgique. Elle a hébergé, soutenu de nombreuses îliennes.

Dès son arrivée à Anvers, Fátima a travaillé dans une famille. Avec un contrat non déclaré qui durera 22 ans. Elle se rappelle qu’il était facile de trouver du travail chez les diamantaires juifs. Employées en semaine dans les familles, les Capverdiennes retournaient le week-end chez Fátima. Y restaient parfois pendant des mois avant de trouver un petit logement. Selon Fátima, de moins en moins de filles capverdiennes sont employées dans des familles juives à cause de la concurrence de personnes moins coûteuses venues de l’est de l’Europe.

«Solidarité et mouvements sont intimement liés», souligne Élisabeth Defreyne. «Ce qui a développé chez les gens de Santo Antão une véritable compétence sociale du et dans le mouvement. Pour bouger, ou plus précisément pour être mis en mouvement, un individu recourt aux solidarités des siens. La vie au Luxembourg ou en Belgique n’est jamais un arrêt trop réfléchi d’avance. Mais constitue d’emblée une invitation à circuler.»

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