Réduire le travail des sols permet de lutter contre leur assèchement

13 septembre 2022
par Laetitia Theunis
Durée de lecture : 6 min

Voilà des mois que la sécheresse perdure. Face au déficit d’eau de pluie, les agriculteurs ne savent plus à quel saint se vouer. Le choix des végétaux et la façon de les cultiver, influencent-ils la rétention en eau des sols ? C’est à cette question que le projet AIL4WQ (Agriculture Is Life For Water Quality) se propose de répondre, mené par des chercheurs de Agro-Bio Tech (ULiège). Les premiers résultats révèlent que les dynamiques d’assèchement semblent influencées par la culture précédente. Et que les parcelles ayant subi un faible travail du sol conservent une meilleure structure de leur sol et retiennent dès lors mieux l’eau.

Le projet AIL4WQ  est réalisé en collaboration avec la plateforme Agriculture Is Life de Gembloux Agro-Bio Tech, le CRA-WGreenotec et Protect’eau et est financé par la Société Publique de Gestion de l’Eau (SPGE).

Expérimentation de longue haleine …

Avant d’aller plus loin, il est nécessaire de planter le décor. AIL4WQ s’inscrit en parallèle d’une vaste expérimentation en champ de 4 modes de production contrastés, s’étendant sur deux cycles complets de rotations de cultures (soit 16 années en tout). Son nom ? EcoFoodSystem.

Depuis novembre 2020, 27 hectares de terres de la ferme expérimentale de Gembloux Agro-Bio Tech lui sont consacrés. L’expérience se découpe en 4 méthodes d’agricultures contrastées et plus ou moins éco-responsables qui doivent servir à dessiner l’agriculture à l’horizon 2050.

Ainsi, quatre rotations de longue durée (8 ans), adaptées aux régions limoneuses de la Hesbaye y sont testées dans des parcelles de 15 mètres x 80 mètres.

… visant une alimentation mondiale saine et durable

Les cultures testées sont celles devant répondre à l’alimentation idéale du futur telle que définie par la commission EAT-Lancet. Cela se marque par une diminution drastique du sucre et des produits carnés dans notre alimentation, en particulier la viande rouge.

« Ce sont des changements de consommation globalement nécessaires pour une production en adéquation avec les besoins alimentaires mondiaux. La Commission définit des proportions dans les aliments pour produire sainement, durablement, à destination de consommateurs omnivores et végans. Nous nous y sommes pliés pour en étudier la faisabilité du point de vue agronomique. C’est pour cela que les cultures testées dans EcoFoodSystem se concentrent sur la production de froments, de betteraves, de petits pois, de fèves ainsi que du colza et de la cameline (tous deux riches en oméga-3)», explique Jérôme Bindelle, professeur de Gembloux Agro-Bio Tech.

Quatre rotations au banc d’essai

La première rotation testée est surnommée « business as usual ». « Elle a recours aux herbicides, utilise des animaux domestiques sans se soucier d’équilibrer leur nombre avec la capacité de production du territoire et s’inscrit dans un régime alimentaire ouvert comme on en connaît de nos jours (import, export). »

La deuxième rotation est dite « hors sol ». Sa philosophie sous-jacente ressemble à s’y méprendre à celle de la première rotation, sauf que l’utilisation des pesticides est proscrite.

Le projet EcoFoodSystem teste 4 rotations. Les deux premières (« Business as usual », utilisant des pesticides, et « hors-sol », réalisée en zéro phyto) sont explicitées dans le dessin « reference rotation ». La rotation agroécologique est reprise dans le schéma ICLS. Et la rotation végane est représentée par le dessin à droite © EcoFoodSystem – Cliquez pour agrandir

La troisième rotation est, quant à elle, dédiée à l’agroécologie (ICLS). « Pour ce faire, nous partons de l’hypothèse de flux optimisés à l’échelle locale. Le nombre d’animaux intégrant les filières d’élevage y est très limité. Ils sont utilisés (particulièrement les ruminants) comme outil fonctionnel pour la gestion des mauvaises herbes et des ravageurs via le pâturage de prairies temporaires et des intercultures. Mais aussi via l’apport de fumier. Ce système est testé en zéro phyto », explique Pr Bindelle.

Vient enfin la rotation dite « végan ». Ce test se projette dans une société qui serait devenue antispéciste et qui refuserait tout recours aux animaux d’élevage. Dans ce système, également mené en zéro phyto, il n’y a aucune production agricole destinée à nourrir ou à héberger les animaux, et aucune utilisation de fumier.

Dans l’essai, les rotations sont testées selon deux temporalités et commencent soit en année 1 (T1) soit en année 5 (T2), invariablement avec du colza (voir schéma ci-dessus).

Deuxième année de monitoring

Souhaitant réaliser le monitoring hydrologique des systèmes de production testés dans le programme EcoFoodSystem, les chercheurs du projet AIL4WQ ont équipé les parcelles de sondes de température, de potentiel hydrique et de teneur en eau. Et ce, à 30, 60 et 90 cm de profondeur.

L’essai a débuté en 2020. En 2021, toutes les parcelles ont été semées avec du froment d’hiver.
« Dans un premier temps, on observe des taux d’humidité similaires et une diminution lente de la teneur en eau pour l’ensemble des parcelles en début de printemps 2022. »

« Dans un second temps, après le 10 avril, on constate une diminution plus rapide de cette mesure et une différenciation marquée des parcelles. Cette baisse de la teneur en eau s’explique par la sécheresse du mois de mars (le plus sec depuis 1883), l’augmentation des températures et une croissance accélérée du froment d’hiver (et donc demandeur de plus grandes quantités d’eau).»

L’importance de la culture précédente …

N’étant que dans la deuxième année du monitoring, il convient de rester prudent quant aux analyses qui sont faites des premiers résultats de dynamique d’assèchement. « Toutefois, malgré cette remarque, la teneur en eau du sol aux différentes profondeurs et le potentiel hydrique semblent varier selon plusieurs facteurs, certaines dynamiques peuvent donc être déjà relevées », poursuit Pr Bindelle.

En année 1, la parcelle agroécologique (T1) a été ensemencée par du maïs. Les chercheurs constatent qu’elle retient moins l’eau que les parcelles sur lesquelles ont été cultivées de la caméline (« T1 vegan ») ou de la betterave (« T1 hors-sol phyto »). « Ceci pourrait s’expliquer par l’existence de systèmes racinaires différents et/ou une récolte plus précoce. »

« De même, on constate que les parcelles dans lesquelles du colza a été cultivé en année 1 (parcelles T2, toutes rotations) ont globalement une plus faible rétention en eau que les parcelles T1 dans lesquelles ont été cultivés de la betterave, de la caméline et du maïs. Les dynamiques d’assèchement semblent donc bien influencées par la culture précédente. »

… et du faible travail du sol

Elles le sont aussi par le travail du sol. « Les parcelles ayant subi un travail du sol moins important, avec des machines agricoles plus petites, voient une meilleure conservation de la structure de leur sol et peuvent mieux retenir l’eau », conclut le chercheur.

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