Grâce aux observations citoyennes, il est désormais possible de suivre la dynamique d’espèces sauvages. C’est ce démontre une étude menée par Natagora et le CNRS. En développant un modèle statistique capable d’analyser les données encodées par le grand public tout en réduisant les biais, les chercheurs ont mis en évidence une chute de 12 % de l’aire de répartition du lézard vivipare en Wallonie en à peine 14 ans. Cette approche montre à quel point les sciences participatives, comme Observations.be, peuvent jouer un rôle essentiel dans la surveillance d’espèces considérées a priori comme communes, souvent absentes des programmes de suivi classiques.
Un déclin à mesurer
L’étude s’est concentrée sur le lézard vivipare (Zootoca vivipara). Il y a une vingtaine d’années, cette espèce inféodée aux milieux froids et humides était encore très fréquente dans ses habitats de prédilection : les vallées humides et les plateaux tourbeux. Pourtant, depuis une dizaine d’années, les herpétologues constatent un déclin marqué dans plusieurs régions de Wallonie.
Les raisons ? Ce reptile affectionne les milieux semi-ouverts, comme les friches, des habitats qui ont tendance à disparaître en Wallonie. Le réchauffement climatique lui est également défavorable, particulièrement les périodes de sécheresse et de fortes chaleurs. A cela, s’ajoute le déséquilibre de la relation proie-prédateur avec l’augmentation de la pression de prédation par le sanglier, grand amateur de lézards.
« Jusqu’à récemment, il était difficile de mesurer précisément ce déclin des populations de lézards vivipares. En effet, parce qu’elle était considérée comme commune et abondante, cette espèce ne faisait pas l’objet d’un programme de suivi spécifique — ces dispositifs étant généralement réservés aux espèces rares ou déjà reconnues comme fragilisées, comme la vipère péliade. Pour évaluer ce déclin, nous avons donc eu l’idée d’exploiter l’immense masse de données issues des sciences participatives à l’aide de modèles statistiques adaptés », explique Dr Thomas Duchesnes, herpétologue au sein du département Etudes de Natagora et premier auteur de l’étude.

Encoder, c’est dans le vent
L’utilisation croissante d’applications mobiles comme Obsidentify, un outil gratuit d’encodage et d’identification d’espèces à partir de photos, encourage un nombre toujours plus important de personnes à enregistrer leurs observations. Ces données sont ensuite centralisées et validées par des spécialistes en taxonomie sur la plateforme Observations.be.
Ainsi, le volume de données augmente continuellement. Rien que pour les reptiles en Wallonie, on enregistrait environ un millier d’observations par année en 2010, alors qu’on atteint aujourd’hui plusieurs dizaines de milliers de données annuelles.
Cependant, il ne suffit pas de suivre l’évolution du nombre total d’observations pour en tirer des conclusions : une telle approche conduirait à penser, de manière erronée, que les populations se portent bien, alors que c’est loin d’être le cas pour certaines espèces sauvages.
Corriger les biais
Pour exploiter efficacement ces données, les chercheurs ont reconstruit des listes d’observation à partir d’unités spatiales standardisées : des carrés d’un kilomètre de côté, au nombre d’environ 17 000 en Wallonie.
Dans chacun de ces carrés, ils regroupent toutes les observations faites lors d’une même visite. « Concrètement, chaque fois qu’une personne se rend dans un carré et encode une donnée à une date précise, on examine également combien d’autres espèces de reptiles ont été enregistrées durant cette sortie », explique Dr Duchesnes.
« Par exemple, si dans un carré donné, le 1ᵉʳ avril 2024, un observateur note un orvet, une coronelle lisse et une vipère péliade, la liste comporte trois espèces. Le modèle part du principe que plus une liste contient d’espèces, plus la probabilité que l’observateur ait noté une espèce s’il l’avait vue est élevée. »
Autrement dit : quelqu’un qui observe et encode cinq espèces de reptiles a beaucoup plus de chances d’avoir enregistré tout ce qu’il a repéré qu’un promeneur qui n’en encode qu’une seule. Dans ce dernier cas, il est probable que l’observation soit fortuite, simplement due au hasard d’une balade, et non à une recherche ciblée.
« La détermination de la probabilité de détection et d’encodage d’une espèce permet de corriger les biais dus à l’augmentation du nombre de données », précise Dr Duchesnes.

Réduction de l’aire de répartition
Les résultats sont sans équivoque : en quatorze ans, le lézard vivipare a perdu près de 12 % de son aire de répartition en Wallonie. « Les zones de basse altitude, peu boisées et pauvres en prairies de haut intérêt biologique, sont les plus exposées au risque d’extinction. Certaines régions, comme le Condroz, la Famenne et la Calestienne, ont déjà probablement vu disparaître l’espèce sur de nombreuses stations », explique-t-il.
Et d’ajouter, « Le déclin signalé par les herpétologues depuis une dizaine d’années correspond exactement aux mêmes régions que celles mises en évidence sur la carte élaborée à partir des données de sciences citoyennes d’Observations.be », confirmant la robustesse de l’approche statistique.
Cette étude consacrée au lézard vivipare constitue un projet pilote. Moyennant quelques ajustements, la méthode statistique développée peut être appliquée à d’autres espèces sauvages courantes mais potentiellement en déclin, comme certains oiseaux ou papillons de jour. Et ce, afin de suivre plus précisément l’évolution de leurs populations.