Pourquoi ne pas acheter de l’art ?

13 décembre 2024
par Raphaël Duboisdenghien
Temps de lecture : 4 minutes
“Un autre regard sur les marchés de l’art”, par Anne-Sophie Radermecker. Collection L’Académie en poche. VP 9 euros, VN 3,99 euros

L’offre et la demande déterminent le prix d’une œuvre d’art. D’un côté, les créateurs. De l’autre, des amateurs, collectionneurs, institutions, investisseurs et spéculateurs. L’historienne de l’art Anne-Sophie Radermecker jette «Un autre regard sur les marchés de l’art», dans la collection L’Académie en poche.

«L’objectif de ce petit ouvrage est de démystifier quelque peu les marchés de l’art», précise la titulaire de la Chaire d’économie des arts et de la culture à l’Université libre de Bruxelles (ULB). «Nous nous éloignerons des hautes sphères du marché de l’art pour explorer d’autres segments moins visibles.»

Fraudes dans les objets vendus à bas prix

Anne-Sophie Radermecker rappelle que «dans l’agenda européen de la recherche, le marché de l’art occupe une place pour le moins marginale. Étant soumis à une image ternie par de nombreux comportements opportunistes et frauduleux. Justifiant l’intervention de l’Union européenne en vue d’en mieux comprendre les mécanismes et les enjeux, de participer à sa régulation par le biais de directives.»

Le marché de l’art, expose-t-il aux méfaits? «Contrairement aux idées reçues, ces méfaits ne concernent pas exclusivement le haut du marché», souligne la chercheuse. «Le manque de connaissances quant aux marchés de bas de gamme et la faible valeur des biens qui y circulent en font un espace privilégié de transit d’objets d’apparence anodine. Parmi lesquels antiquités et artefacts archéologiques. Ces objets façonnés par des humains peuvent, par manque d’attention et d’expertise, se faire passer en toute impunité pour de banales reproductions.»

Penser aux artistes émergents, aux ventes publiques

La codirectrice du Groupe de recherche en sciences des arts et de la culture (Gresac) propose plusieurs pistes de réflexion. La volonté politique qui fait trop souvent défaut. Le manque d’éducation qui contribue à marginaliser les activités artistiques. L’importance du rôle économique de l’amateur et de l’acheteur lambda.

«Enchérissez-vous parfois sur des objets vendus en vente publique, en présentiel ou en ligne? Achetez-vous de temps à autre des œuvres d’artistes émergents? Si l’une de ces réponses est positive, et indépendamment de la fréquence, vous avez contribué à cette économie du patrimoine.»

«Les motivations d’acheteurs prêts à mettre quelques euros dans l’acquisition de biens contemporains ou classés, trop souvent déconsidérées, s’avèrent pourtant des plus intéressantes à l’heure où les modes de consommation capitalistes nous poussent à acheter toujours plus neuf, toujours plus vite. En négligeant les acteurs locaux d’aujourd’hui, le risque est de créer les biais de survivance de demain. Et la carence d’études actuelles participe déjà à cette problématique inhérente à l’histoire des arts.»

Un pont entre sciences humaines et naturelles

Depuis les années 2010, l’expansion rapide de la recherche sur les marchés de l’art est un point de rencontre entre sciences humaines et naturelles. «Ces différences induisent un défi de taille pour les “art market studies”, reconnaît Anne-Sophie Radermecker. «En particulier pour les historiens de l’art. Les contributions de chercheurs issus d’autres disciplines et s’intéressant au négoce de l’art sont, quant à elles, nettement plus ponctuelles. Les contributions qui s’exercent à dépasser les frontières disciplinaires se heurtent souvent à des évaluations contradictoires. Voire irréconciliables.»

Cette situation tend à ralentir le processus d’institutionnalisation des “art market studies” comme discipline à part entière. «Malgré la popularité croissante des programmes STEAM (science, technologie, ingénierie, arts et mathématiques) et des humanités numériques, l’étude des marchés de l’art – souvent considérée comme une sous-branche de l’histoire de l’art, de l’économie ou des études culturelles – demeure marginale dans les curriculums universitaires.»

De l’interdisciplinarité à la transdisciplinarité

Pour la membre du Collegium de l’Académie royale de Belgique, la recherche sur les marchés de l’art doit dépasser l’interdisciplinarité dans les départements et facultés organisés par disciplines. Être composée d’historiens. Mais aussi d’économistes, statisticiens, chercheurs en sciences cognitives, informaticiens, sociologues, anthropologues…

«Bien que sujette à débat, la transdisciplinarité se définit comme une approche critique de la recherche fondamentale et appliquée qui connecte les problèmes sociétaux aux problèmes scientifiques. Et produit de nouvelles connaissances en transgressant la disciplinarité et l’interdisciplinarité à des fins de progrès social.»

«Œuvrer en faveur de la transdisciplinarité ne signifie en aucun cas remplacer ou renoncer aux pratiques disciplinaires et interdisciplinaires préexistantes», insiste Anne-Sophie Radermecker.

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