Des humains aux coraux, en passant par les insectes, les bactéries interagissent avec de nombreux organismes. La nature de ces relations peut être variée : compétitive, parasitaire, synergique… L’une des interactions parmi les plus courantes est néanmoins la symbiose, quand bactérie et hôte vivent en association étroite et durable et en tirent chacun des bénéfices.
Le Pr François Renoz, biologiste au Earth and Life Insitute de l’UCLouvain, étudie depuis plusieurs années les relations symbiotiques entre insectes et bactéries. Un sujet encore peu exploré dans les laboratoires belges. « Je m’intéresse surtout aux relations symbiotiques transmises de génération en génération. Une particularité chez les insectes. La mère va transmettre à sa descendance les bactéries dont elle est porteuse. On parle de bactéries symbiotiques “héritables” », précise le Pr Renoz.
A l’occasion de son nouveau mandat de chercheur qualifié FNRS, le scientifique va se concentrer sur l’influence des hautes températures sur le développement et l’évolution de ces associations. De quoi mieux appréhender les effets du changement climatique sur les insectes et les bactéries.
Une symbiose obligatoire ou facultative
Au sein d’une relation symbiotique, les bactéries occupent une place essentielle dans la vie de l’insecte : « Beaucoup d’insectes ont une alimentation pauvre en certains nutriments. C’est le cas chez certains suceurs de sang, comme la punaise de lit ou la mouche tsé-tsé, mais aussi chez les suceurs de sève, comme les pucerons. Pour combler ces carences, ils dépendent de bactéries capables de synthétiser ces nutriments. De leur côté, ces bactéries y trouvent leur compte, puisque l’hôte leur fournit un habitat, un lieu de reproduction et du sucre en quantité », développe le Pr Renoz.
Dans ce cadre, il s’agit d’une symbiose dite « obligatoire », car la survie de l’insecte est nécessairement associée à une bactérie, et vice-versa. Ces alliances sont d’ailleurs parfois très anciennes, vieilles de plusieurs millions d’années.
D’autres bactéries symbiotiques confèrent aux insectes une protection face à certains prédateurs, pathogènes, ou encore contre les stress thermiques. « Ces bactéries vont rendre des services dans certaines conditions écologiques, mais peuvent aussi impacter négativement (mais pas trop) la survie de leurs hôtes ». On parle alors de relations symbiotiques « facultatives », qui peuvent aussi être héritables.
Coup de chaud chez les pucerons
Dans les années à venir, le biologiste va étudier l’influence de l’augmentation des températures sur les symbioses de trois espèces de pucerons, un modèle animal facile à étudier en laboratoire. « De fait, certaines souches de Buchnera aphidicola – la principale bactérie symbiotique obligatoire du puceron, dont la relation est estimée à 250 millions d’années – sont connues pour être thermosensibles », fait savoir le scientifique.
Dans le contexte du changement climatique actuel et à venir, cela représente un potentiel talon d’Achille pour les pucerons. « On ne comprend toutefois pas encore les mécanismes liés à cette thermosensibilité. Ni la manière dont les associations avec ces souches seront impactées sous un stress thermique. »
L’idée du projet sera donc de tester la plasticité des systèmes symbiotiques (leur capacité de s’adapter et à évoluer) sous ce stress, et de comprendre les mécanismes qui sous-tendent cette plasticité. « Il s’agit notamment de découvrir comment la température peut défaire des associations extrêmement anciennes, et influencer la création de nouvelles. »
Le Pr Renoz étudiera ainsi la façon dont la température conditionne l’héritabilité des bactéries symbiotiques et la vie intracellulaire, « car ce sont deux étapes évolutives qui conditionnent l’émergence de symbioses durables ». Par ailleurs, il cherchera « à comprendre la façon dont les bactéries symbiotiques facultatives peuvent protéger les associations ancestrales des effets délétères des hautes températures. »
Une nature plus résiliente qu’on ne le pense
Pour étudier le sujet, des expériences avec des incubateurs seront menées en laboratoire. « On va, dans un premier temps, imposer des stress thermiques aigus, en passant de 20 à 38 degrés durant quelques heures. Par la suite, on envisage de travailler sur des augmentations moins intenses, mais plus longues », précise le chercheur.
D’après lui, la hausse des températures induite par le réchauffement climatique va probablement altérer, à l’avenir, ces symbioses insectes-bactéries. Pour autant, il reste optimiste : « De nouvelles associations peuvent rapidement se créer face à un stress environnemental brutal. Chez les coraux, qui sont aussi très sensibles au réchauffement des mers et océans, on constate aujourd’hui la création de nouvelles symbioses, qui leur permettent d’être plus résilients au stress thermique. En résumé, la nature trouve souvent son chemin », conclut le Pr Renoz.