Comprendre les discriminations des femmes africaines

14 février 2018
par Céline Husson
Temps de lecture : 6 minutes

À première vue, la recherche en économie et les conditions de vie des femmes subsahariennes n’ont pas grand-chose en commun. Ce n’est pas l’avis de Catherine Guirkinger, professeure au Centre de Recherche en Economie du Développement (CRED) de l’UNamur.

Son projet « African women », financé par une bourse de l’Union européenne « ERC Starting grant », s’intéresse à la question de la mortalité excessive des femmes dans le sous-continent d’un point de vue historique. Il s’intéresse notamment aux discriminations auxquelles font face les femmes dans leur ménage.

« African women » sera lancé en août 2018 et pour cinq ans. Il trouve ses fondations dans des recherches antérieures telles que l’analyse de la manière dont les populations rurales en zone sahélienne géraient leurs stocks de céréales. Ces premiers travaux cherchaient à comprendre l’origine des importantes fluctuations saisonnières de la nutrition (le changement de poids) des hommes, mais surtout des femmes et des enfants.

Les greniers de Sécurité Alimentaire au Burkina Faso

Fascicule de vulgarisation du projet destiné aux populations locales © Jérémie Gross (CRED) et Marc Mees (SOS Faim), in Les Greniers de Sécurité Alimentaire au Burkina Faso. Un impact confirmé, 2015

Entre 2010 et 2013, Catherine Guirkinger et son équipe ont étudié l’impact d’un programme de sécurité alimentaire mis en place par une organisation paysanne (la Fédération nationale des groupements Naam – FNGN) et une ONG belge (SOS Faim).

Le programme a mis en place des greniers de sécurité alimentaire (GSA): des coopératives qui achètent, stockent et vendent des céréales toute l’année.

Le GSA fonctionne comme un magasin : au fur et à mesure des ventes, il est réapprovisionné, de manière à assurer une offre permanente. Et à éviter les périodes « de soudure » (lorsque la nourriture vient à manquer), fréquentes avant les nouvelles récoltes.

La gestion raisonnée des stocks alimentaires

Prenons l’exemple d’Oumarou S. Il vit avec ses trois femmes et leurs neuf enfants. Ensemble, ils cultivent du sorgho, du mil et niébé, pour leur propre consommation. Une année sur deux, les récoltes ne sont pas suffisantes pour répondre aux besoins de la famille. En 2011, plus d’un quart des cultures ont été perdues à cause de la sécheresse. En 2012, au contraire, la récolte fut abondante.

En l’absence du système de GSA, Oumarou fait face à un dilemme : doit-il attendre que sa famille ait consommé sa propre production pour acheter des céréales (et risquer de ne plus en trouver sur les marchés à proximité de son village) ? Ou doit-il faire des achats préventif et stocker des sacs à son domicile ? La seconde solution semble la plus raisonnable mais il sait que le stockage à domicile a un coût : la profusion est tentante, et le stock a vite fait d’être vidé. Risquant de laisser la famille sans grande réserve en période de soudure.

Au lieu de stocker les denrées à son domicile, Oumarou a pu profiter d’un GSA dans son village et acheter les céréales dont il avait besoin au moment où ses propres stocks se sont épuisés.

Un impact confirmé

Ce programme a permis – depuis son implémentation, il y a plus de 10 ans – à 336 000 personnes de profiter des réserves des GSA.

Le FNGN, SOS Faim et le CRED ont cherché à mesurer l’impact des GSA sur les conditions de vie de la population et sur leur niveau nutritionnel. Celui-ci est mesurable via le calcul de l’indice de masse corporelle (IMC) : c’est le rapport entre le poids d’un individu et sa masse élevée au carré (kg/m²).

Il en ressort que l’installation d’un GSA dans un village permettait d’échapper à la détérioration de la situation nutritionnelle lors d’une période de sécheresse.  Lors de l’évaluation du programme en 2012, une année particulièrement sèche, la sous-alimentation chez les enfants en bas-âge ne s’est pas aggravée dans les villages avec GSA, tandis qu’elle s’est accrue dans les villages sans GSA.

Autre constat, si l’accès aux denrées a été amélioré, il n’y a pas eu d’augmentation nette de la consommation alimentaire. Pourquoi un tel paradoxe ? Grâce aux GSA, la quantité de nourriture consommée a simplement été mieux distribuée en fonction des besoins tout au long de l’année. ce qui a permis une meilleure nutrition.

Mieux comprendre la saisonnalité de la nutrition

Le projet sur l’impact des GSA a mis en lumière l’importance des fluctuations saisonnières de poids des populations sahéliennes. Les adultes comme les enfants perdent plusieurs kilogrammes en moyenne au cours des mois de soudure. Ces fluctuations nuisent à la santé, celle des enfants en particulier. De plus, les femmes semblent y être davantage exposées.

Bracelets de fitness

La plus grande exposition des femmes (et des filles) aux fluctuations saisonnières de poids est-elle due au fait qu’elles sont discriminées dans leur accès à la nourriture ?

Les travaux de Catherine Guirkinger et de son équipe suggèrent que ce n’est pas le cas. Les chercheurs ont pris des mesures objectives d’effort faites à partir de bracelets de fitness (ou « activity trackers ») portés par des femmes et des hommes.

Ces mesures suggèrent que les femmes sont plus impliquées dans les travaux agricoles (saisonniers) intensifs et tâches ménagères physiques. Ce serait l’effort physique demandé par ces travaux qui serait responsable d’une fluctuation saisonnière plus important de leur poids.

Ces contraintes peuvent fortement limiter la capacité de ces femmes à générer des revenus indépendants, à s’émanciper et à améliorer leurs conditions de vie. Les innovations techniques, agricoles ou ménagères, qui permettent de soulager le travail physique, pourraient profiter davantage aux femmes.

Cette implication sera directement testée dans le nouveau projet de recherche du Dr Guirkinger.

Un projet qui abordera aussi la question du bien-être des femmes africaines dans une perspective historique, sur la base de données d’archives notamment.

Tout l’objectif de l’économie du développement est de comprendre un phénomène afin de pouvoir proposer des interventions publiques adaptées via des modèles économiques.

 

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