Enseigner aux élèves de 11-12 à 15-16 ans soulève des polémiques. Les promoteurs d’un socle commun, comme à l’école primaire, affrontent les partisans d’une juxtaposition de filières. Le sociologue François Baluteau (Université Lumière Lyon 2), Vincent Dupriez, professeur de sciences de l’éducation et Marie Verhoeven, professeure de sociologie (UCLouvain), dirigent l’étude comparative «Entre tronc commun et filières, quelle école moyenne?», aux éditions Academia-L’Harmattan.
Ce livre clôture une réflexion collective impulsée par le Pr François Baluteau sur «l’école moyenne», les années charnières entre l’école primaire et la fin du secondaire. Réflexion accompagnée d’un séminaire de recherche. Et d’un colloque organisé en 2016 à l’Université de Louvain avec le soutien du FRS-FNRS, de la Chaire «École et lien social». Quatorze experts scrutent le système éducatif allemand, anglais, belge, espagnol, français, québécois, suédois et suisse.
Contrer l’orientation négative
Le tronc commun se détricote souvent sous l’influence de politiques de libéralisation de l’enseignement. Les aléas de sa réalisation en Belgique francophone sont développés par les Prs Vincent Dupriez et Marie Verhoeven.
«On attend de l’institution scolaire qu’elle transmette à tous les élèves un socle commun de savoirs, d’attitudes et de valeurs. Mais on attend aussi qu’elle prépare les individus à occuper des fonctions différentes dans la société en général et sur le marché du travail en particulier», relèvent les deux membres du Girsef, le Groupe Interdisciplinaire de Recherche sur la Socialisation, l’Éducation et la Formation.
Traditionnellement, le traitement de cette tension passe par des négociations sur les actions à mener pour former les élèves. Et la définition d’une première étape de la scolarité commune.
«Dès le début de la législature 2014-2019 et dans la période qui l’a immédiatement précédée, un certain nombre d’acteurs ont réinterrogé la différenciation en 3 filières parallèles dès 14-15 ans, dénonçant notamment le processus de relégation ou d’orientation négative qui conduit aux filières techniques et professionnelles. Si l’idée d’une réforme semble rencontrer un large assentiment sur l’échiquier politique et institutionnel, l’examen approfondi des débats publics en la matière révèle des positions contrastées quant à la durée et au contenu de ce tronc commun revisité.»
Réformer le tronc commun
Des acteurs défendent un simple réaménagement du premier degré actuel du secondaire. D’autres, plutôt de gauche, préconisent une réforme en profondeur. Un allongement de la structure unique jusqu’à la fin de la 3e ou la 4e année. Et la refonte de ses contenus pour arriver à une formation pluridisciplinaire ou polytechnique. L’enjeu est d’inclure plus systématiquement des compétences autres que cognitives: des aptitudes artistiques, manuelles, techniques. L’objectif est de lutter contre la hiérarchisation symbolique des différentes filières. De permettre à chaque élève de s’orienter en connaissance de cause.
Que devient le tronc commun dans les 8 systèmes éducatifs étudiés? «Un peu partout, les réformes qui relativisent ou fragilisent l’école unique ou l’existence d’un tronc commun pour l’ensemble des jeunes légitiment leur orientation au nom du libre-choix et du respect des différences entre les élèves. La dynamique de différenciation que l’on observe actuellement au niveau de l’école moyenne se construit sur une nouvelle philosophie. À la fois différentialiste, fondée sur la reconnaissance des différences entre les élèves. Et marchande, c’est-à-dire basée sur l’adéquation entre l’offre et la demande.»
La ségrégation resurgit
Ce nouveau référentiel se montre-t-il ségrégatif? «C’est le cas pour des pays dans lesquels on observe une forte ségrégation externe, liée à l’existence de divers types d’établissements et de plusieurs réseaux. Ainsi qu’une ségrégation interne, au sein des établissements. Ces phénomènes sont particulièrement nets là où la diversification est la plus forte. Où l’autonomie des établissements est importante. Et où la liberté des familles est large. En Angleterre et en Belgique, par exemple.»
En conclusion… «On assiste bel et bien au recul du projet compréhensif. C’est-à-dire d’une école qui ambitionne de réunir dans un même lieu et devant les mêmes savoirs tous les jeunes de 11 à 15 ans», soulignent François Baluteau, Vincent Dupriez et Marie Verhoeven.