Drôle de prise, en juillet 2020, pour ce pêcheur de crevettes hollandais, qui remontait ses filets au large de Zeebrugge. Parmi les crustacés convoités, se trouvait une longue défense d’éléphant de quelque 60 kilos. « Une découverte rarissime », estime la Dre Annelise Folie, conservatrice des collections de paléontologie à l’Institut Royal des Sciences naturelles de Belgique. « Cette défense fossilisée de 2,37 mètres de long date d’il y a plus de 100.000 ans. Elle appartenait à une espèce d’éléphants qui existait dans nos régions à l’époque interglaciaire: Palaeoloxodon antiquus. Il s’agit d’une espèce à défenses droites, également désignée comme éléphant de forêts, et qui a disparu de nos régions avant le mammouth. »
Cousin de l’éléphant africain
En juillet 2020, le pêcheur a ramené son étonnante prise au pays. La défense a été confiée à un organisme spécialisé. Son long séjour dans l’eau et le sel ayant fragilisé le fossile revenu à l’air libre, il a fallu lui appliquer divers traitements. Au fil des mois et de tractations avec divers interlocuteurs belges, le fossile est finalement exposé au Muséum des Sciences naturelles. Il est visible aux pieds de son cousin empaillé, l’éléphant d’Afrique, qui observe les iguanodons, dans leur cage de verre en contre-bas.
« Palaeoloxodon antiquus était un géant plus grand que l’éléphant africain, son plus proche cousin actuel », indique-t-on au Muséum. « L’espèce était largement répandue en Europe et a prospéré principalement pendant les périodes plus chaudes, entre deux périodes glaciaires. »
« Cette découverte est remarquable, car nous n’avions que peu de traces de la présence de cet éléphant en Belgique. Palaeoloxodon antiquus a été longtemps considéré comme l’ancêtre de l’éléphant d’Asie (Elephas maximus), mais il est aujourd’hui considéré comme un proche parent de l’éléphant de forêt d’Afrique actuel (Loxodonta cyclotis). Palaeoloxodon antiquus est probablement aussi originaire du continent africain, mais on ne sait pas à quel point cette espèce était répandue dans la préhistoire ».
Grâce à la géologie du lieu, à la localisation précise du fossile et aux découvertes d’autres restes de mammifères adjacents, on estime que la défense date de l’Eémien, une période du Pléistocène supérieur, pendant la dernière période interglaciaire (il y a environ 130.000 à 115.000 ans).
Sous la mer, une ancienne forêt
La défense a été remontée accidentellement d’un canal de navigation situé dans la partie belge de la mer du Nord, au large de la côte de Zeebrugge, appelé « Het Scheur ». Des activités de dragage y sont régulièrement entreprises pour permettre aux gros navires de faire escale au niveau de l’Escaut. Cela provoque l’érosion des berges et de nombreux fossiles de mammifères ont déjà fait surface dans cette zone. A l’époque, Het Scheur était donc probablement une forêt, avant d’être recouverte par l’eau.
A qui appartient le fossile?
La découverte de cette défense a soulevé des questions liées à la propriété de cet objet. Ce fossile appartient-il au patrimoine national? A la Flandre? La Mer du Nord étant, rappelons-le, une compétence fédérale.
Pour régler la question, un protocole de coopération a été rédigé, dans le cadre de la Loi relative à la mise en œuvre de la Convention de l’UNESCO du 2 novembre 2001 sur la protection du patrimoine culturel subaquatique et la protection d’épaves de valeur.
Dans cet accord, le Gouverneur de la Flandre occidentale, la Direction Générale Navigation, l’Institut royal des Sciences naturelles de Belgique, l’Agence flamande du patrimoine et l’Institut flamand de la mer formalisent leur coopération en matière de protection du patrimoine culturel subaquatique, y compris le patrimoine paléontologique, et de protection des épaves de valeur. L’accord garantit que les futures découvertes en mer seront enregistrées, étudiées et, le cas échéant, rendues accessibles au public.