Dès qu’on parle du Colisée ou du Panthéon, deux monuments emblématiques de l’Antiquité, on revient presque toujours sur les recherches scientifiques menées au cours des dernières décennies. Sous-entendant que l’intérêt pour l’Histoire serait une démarche contemporaine. Ce serait oublier que, si ces reliques ont survécu jusqu’à nos jours, c’est parce que nos ancêtres ont participé à leur préservation.
Qu’en était-il dans nos régions ? Déterminer comment les ruines antiques étaient considérées, voire étudiées, entre le 15e et le 18e siècle était l’objectif de la thèse d’Olivier Latteur, aujourd’hui postdoctorant à l’UNamur au département d’Histoire et chargé de cours à l’UCLouvain.
La fascination pour l’Antiquité
Déjà au Moyen-âge, la période de l’Antiquité fascine. Certains savants et érudits s’attellent à collectionner et à conserver dans les bibliothèques des monastères et des cathédrales des manuscrits de cette époque. L’attention pour les vestiges matériels n’émerge toutefois qu’à la Renaissance.
Cette thèse part du constat que, si les ruines antiques italiennes ont alors suscité un grand intérêt, on ignore comment ont été reçus les vestiges retrouvés dans nos contrées. Pour le découvrir, Olivier Latteur s’est basé sur les sources écrites et iconographique (cartes, plans et gravures) mentionnant ces traces antiques dans les Pays-Bas méridionaux et dans la principauté de Liège.
« C’étaient essentiellement des voies romaines, des tumuli – des tertres artificiels au-dessous des tombes – très présents en Hesbaye, ou encore des murailles antiques que l’on retrouve encore aujourd’hui à Arlon et à Tongres », énumère le chercheur. « J’ai aussi étudié d’autres vestiges remarquables, comme le mausolée d’Igel (un village aujourd’hui situé en Allemagne), inscrit depuis 1986 au patrimoine mondial de l’UNESCO ».
Une préservation du patrimoine avant l’heure
Ses recherches révèlent que certains vestiges ont volontairement été préservés par les sociétés de l’époque. « A cette période, l’ancienneté est synonyme de légitimité. Aussi, ces ruines étaient sauvegardées en tant que témoins du passé ancien de la communauté, ce qui contribuait à son prestige par rapport aux communautés voisine. »
« Leur conservation pouvait aussi être purement utilitaire. L’idée étant de continuer à emprunter les voies romaines, ou de garder les tumuli comme points de repère pour les voyageurs et les armées en campagne », ajoute l’historien.
Il arrive toutefois que certains monuments soient préservés pour des raisons historiques. « Le mausolée d’Igel, qui était visité par quantité de curieux à cette période, a fait l’objet d’une restauration dès le 18 siècle. Les pouvoirs publics de l’époque estimant qu’il devait être conservé pour les générations futures. C’est assez surprenant, quand on sait que les politiques de préservation du patrimoine ne verront le jour qu’au 19e siècle, voire au 20e siècle ».
En parallèle, le chercheur a retrouvé plusieurs sources écrites et iconographiques d’érudits, qui reconnaissaient la valeur historique de ces vestiges et cherchaient à en garder trace via une description ou un dessin.
Un attrait pour le passé qui n’est pas nouveau
Cette étude montre, par ailleurs, que des intellectuels commençaient déjà à s’intéresser scientifiquement à ces objets. « On voit ainsi apparaître dès le 16e siècle les premières fouilles archéologiques. Elles poseront les fondations de l’archéologie moderne, qui verra le jour 300 ans plus tard.»
Les travaux du Dr Latteur permettent non seulement de mieux comprendre le rapport qu’entretenaient les Pays-Bas méridionaux et la principauté de Liège avec leur passé antique. Mais rappellent aussi que les traces matérielles dont on dispose aujourd’hui ne sont pas le fruit du hasard.
« Ces vestiges ont été sauvés parce qu’ils revêtaient une signification, une valeur pour les sociétés du passé. Or, cet aspect de la réception du patrimoine sur le long terme reste encore trop rarement mis en évidence par nos sociétés actuelles », conclut le chercheur.