Deux portions de produits laitiers par jour en moyenne au lieu des quatre recommandées : les Belges boudent les laitages. Seuls 4% de la population consommeraient effectivement les 3 à 4 portions quotidiennes (lait, yaourt, etc.) recommandées par les autorités sanitaires (3 à 4 portions ou… 2 à 3 ? Le chiffre varie suivant qu’on habite au sud ou au nord du pays).
Ce constat, ce sont les spécialistes européens réunis fin mars à Bruxelles par le Belgian Bone Club et la Société Belge de Ménopause, qui le posent. A l’occasion d’un symposium consacré à cette problématique « laitière », ils en ont profité pour faire le point sur les dernières avancées scientifiques en la matière.
Le constat
« Les Belges mangent environ deux portions de produits laitiers par jour : l’une sous forme de fromage et l’autre sous forme de lait et/ou de yaourts » indique le nutritionniste français Edouard Clerfeuille.
« Une telle consommation est insuffisante et préjudiciable à terme pour la santé. Augmenter la consommation en lait et yaourts, sans augmenter pour autant la consommation de fromages, aiderait les Belges à se mettre en adéquation nutritionnelle avec la quantité de calcium nécessaire à avaler quotidiennement pour leur assurer une bonne santé osseuse », estime-t-il. Et il précise : « cette approche simple permettrait en outre de limiter l’apport en acides gras saturés ».
Capitalisation osseuse et autres bénéfices « santé »
Le lait et ses dérivés contiennent les nutriments-clés de la santé osseuse : le calcium, le phosphore et les protéines. Il est aujourd’hui démontré que ces nutriments sont indispensables tant à la constitution d’un capital osseux optimal lors de la croissance que pour son entretien ce qui limite la perte osseuse liée à l’âge.
Mais les laitages procurent aussi un autre bénéfice santé. « Un apport alimentaire idéal en calcium et en nutriments permet aussi de réduire la tension artérielle de même que le risque de développer un diabète de type-2. Ce qui est tout bénéfice pour la santé cardiovasculaire », indique le Dr Jean-Michel Lecerf, médecin nutritionniste de l’Institut Pasteur de Lille (France).
Et le médecin de pointer encore d’autres effets bénéfiques documentés dans la prévention d’affections comme la sarcopénie (la perte de masse musculaire) ou le cancer colorectal.
Clin d’oeil : consommer suffisamment de laitage pourrait même aider à mieux… gérer son poids, comme en atteste une étude publiée en 2013 dans le journal Nutrients.
Le déficit en calcium se paie cash
Pour en revenir à la santé osseuse, il est clair que l’apport réduit en calcium par voie alimentaire peut entraîner des problèmes d’ostéoporose. « Outre l’impact sur la qualité de la vie des personnes souffrant de fractures liées à la perte de densité osseuse, ce genre de pathologie a également un impact économique important », explique le Pr Cyrus Cooper, du MRC Lifecourse Unit de l’Université de Southampton et de l’Université d’Oxford, en Grande-Bretagne.
« Au niveau européen, on estimait les coûts directs liés aux traitements de ces fractures à quelque 26 milliards d’euros en 2010 », précise-t-il. « Une somme à laquelle il faut ajouter 11 milliards d’euros pour les traitements à long terme ».
« La Belgique est dans le «top 20» des pays avec la plus forte incidence de fractures de la hanche », analyse-t-il aussi. « Une augmentation de plus en plus marquée de ces fractures est apparue au cours de ces huit dernières années avec une progression de 20,4 % chez les hommes et 5,7 % chez les femmes ». Une augmentation qui devrait se poursuivre d’ici 2025 à hauteur de 18,5 %, selon ses estimations.
Cap sur la médecine nutritionnelle préventive
« Nous devons encourager nos patients à modifier leur comportement alimentaire, à réduire le risque de fracture ostéoporotique» dit le professeur René Rizzoli, de la Faculté de Médecine de Genève, Médecin chef du Département de réhabilitation et gériatrie et du Service des maladies osseuses et de la mobilité. « Les études de bilans financiers montrent que la médecine nutritionnelle génère des économies substantielles en santé. De petites initiatives alimentaires à faible coût permettent des économies importantes liées à la prévention des fractures ».
Le risque des « pseudo-intolérances »
Les liens entre ces apports alimentaires ciblés et la bonne santé de nos os ne cessent d’être démontrés par les études scientifiques. Pourquoi dès lors cette baisse d’intérêt pour les produits laitiers et leurs dérivés?
« On les a accusés à tort, ces dernières années, d’une série de maux », explique le Pr Jean-Michel Lecerf, médecin nutritionniste de l’Institut Pasteur de Lille (France).
La première critique faite aux produits laitiers concerne l’intolérance au lactose. « Or, constate le Dr Lecerf, l’intolérance totale se rencontre surtout dans certaines régions d’Asie ou d’Afrique, mais jamais avant l’âge de deux ans ».
D’un point de vue évolutionniste, l’intolérance humaine au lactose après le sevrage était la norme voici 6000 à 10.000 ans. Au fil des générations, diverses mutations génétiques ont permis à certaines populations de la planète, dont celles de l’Europe du Nord, de tolérer ce glucide présent en quantité dans le lait.
« En Belgique, seuls 20% de la population est partiellement intolérante au lactose », note le scientifique français. Toutefois, cela ne concerne quasiment pas le fromage ni le yaourt.
« Dans ces produits élaborés, la fermentation permet d’éliminer une bonne partie du lactose », confirme le Dr Andrew Prentice, de la London School of Hygiene & Tropical Medicine (Royaume-Uni).
Fausses croyances populaires
D’autres effets négatifs imputés aux produits laitiers sont purement et simplement balayés par les études scientifiques. « Le lait et ses dérivés ne sont en rien impliqués dans la formation de calculs (lithiases) », note le Dr Lecerf, « ni dans le développement de l’acné, de la sclérose en plaques, de l’arthrose ou de l’arthrite. Par contre, on s’interroge toujours sur leur rôle en ce qui concerne le cancer de la prostate. Il y a peut-être un effet négatif en cas d’ingestion de très grandes doses de calcium », concède-t-il.
Manger et bouger
« Actuellement, nous ne pouvons optimaliser nos déterminants génétiques » souligne le gynécologue Serge Rozenberg (ULB-VUB), co-président du symposium.
« Notre santé osseuse se construit et se préserve tout au long de la vie », indiquait-il en guise de conclusion. « Et cela commence avant la naissance. La qualité de l’alimentation de la future mère a en effet un impact certain sur les os de son enfant ».
« Nous avons la possibilité d’agir à 20 % sur la qualité de notre système osseux en adoptant une bonne hygiène de vie, sans tabac ni alcool, en limitant la consommation de sel et en adoptant une alimentation équilibrée avec produits laitiers. Le tout, bien sûr, complété par une bonne dose d’activité physique. Pourquoi s’en priver » ?
Les actes de ce symposium sont accessibles sur le site de l’Institut Danone.