Inutile d’écarquiller les yeux dans votre jardin ou lors d’une promenade dans la forêt ardennaise. Les fourmis qu’on y rencontre ne brillent pas comme des miroirs!
Par contre, pour la fourmi argentée, c’est une autre histoire. Cet arthropode qui vit dans le désert du Sahara a dû s’adapter pour supporter les intenses rayons solaires qui inondent les immenses dunes de sable. Une adaptation très simple. C’est une histoire de poils: ceux qu’elle porte sur la tête, le thorax et l’abdomen. Ces « soies » réfléchissent les rayons du Soleil. Ce qui préserve l’animal d’une dangereuse surchauffe et lui donne cet aspect argenté, dont elle tire son nom.
Décryptage des propriétés optiques
« Ce que nous ne connaissions pas encore », explique le Pr Serge Aron, Directeur de recherches F.R.S.-FNRS et directeur du laboratoire d’Écologie et de biologie de l’évolution (Université Libre de Bruxelles – ULB), « ce sont les propriétés optiques précises de cet effet miroir et les conséquences que cela a sur la température des fourmis ».
Avec Quentin Willot, doctorant FRIA – F.R.S.-FNRS, le Pr Aron a donc étudié la pilosité des fourmis d’argent. Il les a étudiées en laboratoire, à Bruxelles. Il en a rasé certaines afin de comparer leur comportement à une source de lumière parfaitement calibrée, et ce par rapport à des fourmis poilues. Enfin, il a pris la température de chacun de ces spécimens…
Photonique des êtres vivants
Parallèlement, à l’Université de Namur (UNamur), les scientifiques du groupe de recherche en physique de la matière et du rayonnement (photonique des organismes vivants) ont travaillé sur la structure des soies des fourmis. Ils ont également réalisé des simulations numériques.
Les biologistes et les physiciens ont également pu compter sur le savoir-faire des spécialistes de l’Institut d’Aéronomie spatiale de Belgique, plus habitués à travailler sur des problématiques cosmiques. « Nous avons pu bénéficier de leur illuminateur solaire », précise le Pr Aron. « Il s’agit d’un instrument programmable, qui permet d’éclairer un échantillon, ou, dans le cas présent, des fourmis, avec une lumière identique à celle du Sahara, et avec une précision extrême d’intensité et de durée ».
Un effet parasol à 100% grâce aux poils en forme de prisme
Résultats: les fourmis d’argent glabres ont moins bien supporté ce rayonnement solaire artificiel que celles disposant de leurs poils. Les fourmis rasées (au scalpel!) affichaient une température plus élevée de deux degrés que leurs sœurs poilues. Un détail: la température des fourmis a été prise….via un thermomètre introduit dans leur abdomen par voies naturelles. L’instrument en question n’étant autre qu’une sonde microscopique.
Mieux encore, le mystère des « poils-miroirs » a également été levé par les chercheurs belges. « Nous avons pu montrer qu’il s’agit en réalité de poils qui ne touchent pas la cuticule, la « peau de l’animal », précise le Pr Serge Aron. « Bien sûr, ces poils sont connectés à la fourmi par une racine qui plonge dans son corps. Mais les poils en eux-mêmes ne se développent qu’un peu au-dessus de la cuticule ».
Cette couche d’air intermédiaire explique sans doute déjà en partie cette protection contre la chaleur. « Mais surtout, cette « déconnexion » permet aux poils, de section triangulaire, de se comporter comme des prismes réfléchissant totalement le rayonnement lumineux », précise le scientifique. Si les poils avaient touché la peau des fourmis, l’indice de réfraction aurait été moins bon et l’effet réfléchissant moins efficace.