Vagabonder dans nos pensées est utile pour le cerveau

14 septembre 2022
par Camille Stassart
Temps de lecture : 4 minutes

Alors que vous êtes en train de lire un document, vous vous rendez compte qu’une fois arrivé à la fin de la page, vous n’avez pas retenu un seul mot. Rien ne vous a pourtant distrait, vous étiez simplement dans vos pensées.

Si la fréquence des épisodes de vagabondage de l’esprit (“mind-wandering”, en anglais) varie beaucoup d’un individu à l’autre, le phénomène est expérimenté par tout le monde, et représenterait 30 à 50 % de notre activité cognitive quotidienne. Depuis près de quinze ans, David Stawarczyk étudie les processus psychologiques et cérébraux impliqués dans cette errance mentale, encore largement méconnus. En octobre, il poursuivra ses recherches dans le cadre d’un mandat de chercheur qualifié FNRS à l’Université de Liège.

Des pensées orientées vers la planification à court terme

« Lors de ma thèse à l’unité de recherche Psychology and Neuroscience of Cognition de l’ULiège, et des travaux qui ont suivi, j’ai cherché à déterminer la fonction de cette activité mentale ». Pour y parvenir, lui et ses collègues ont mené des expériences où ils demandaient à des participants de réaliser une activité pendant 40 minutes. Les scientifiques interrompaient ensuite cette tâche à divers moments, et demandaient aux candidats s’ils pensaient à autre chose à ce moment T, et si oui, à quoi.

« Quand ils vagabondaient dans leurs pensées, 43 % du contenu de celles-ci étaient associés à des événements futurs (contre 26 % à des événements passés, et 15 % au temps présent). La majorité de ces pensées orientées vers le futur visait la planification d’actions concrètes à court terme dans 60 % des cas, à savoir dans la journée ou pour le lendemain ». Les participants pensaient, par exemple, à ce qu’ils allaient manger à midi, après l’expérience. Ou encore au trajet qu’ils feraient pour rentrer chez eux.

David Stawarczyk a, par ailleurs, montré que ces pensées étaient plus facilement mémorisées par le cerveau que les autres, afin que ces plans et idées soient exploités au mieux par l’individu par la suite.

Ces résultats suggèrent ainsi que l’errance mentale nous servirait, en partie, à planifier l’avenir, ainsi qu’à chercher des solutions, potentiellement créatives, pour prévenir certaines situations.

Le théâtre de la vie quotidienne divisé en plusieurs actes

De 2017 à 2019, David Stawarczyk rejoint le Dynamic Cognition Lab Washington de l’Université de Saint Louis (Etats-Unis). Il y étudie la façon dont les épisodes de vagabondage de l’esprit sont modulés au cours des activités quotidiennes.

« Les recherches du directeur du laboratoire s’intéressent à la manière dont on perçoit les événements de la vie quotidienne, et la façon dont on les encode en mémoire. Sa théorie est que le cerveau segmente automatiquement les moments du quotidien, alors même que ces événements se déroulent en continu. »

« Si vous repensez à votre journée d’hier, vous allez vous rendre compte que vous la fragmentez en périodes courtes, avec un début et une fin, séparées par des “points de transition”. Vous vous êtes levé et avez bu un café ou un thé. Puis vous vous êtes habillé. Puis vous êtes parti à votre travail, etc. Alors qu’il n’y a objectivement aucune interruption entre toutes ces tâches », développe le Dr Stawarczyk.

Dans le cadre de son étude, des participants ont visionné plusieurs vidéos de quelques minutes montrant des acteurs accomplir des tâches courantes : préparer le dîner, faire des photocopies, faire la lessive… « On interrompait ensuite le film à des moments aléatoires en demandant aux candidats s’ils pensaient à autre chose à ce moment-là. En parallèle, on mesurait leur activité cérébrale à l’aide d’une IRM. »

Les résultats préliminaires indiquent que l’errance mentale est plus fréquente quand les participants regardent une action au cours de laquelle rien de nouveau ne se passe. Exemple : l’actrice est devant une cuisinière et surveille la cuisson des œufs. A contrario, le vagabondage est moins fréquent quand l’actrice débute une nouvelle activité, comme prendre des assiettes dans un meuble pour y placer les œufs cuits.

Voici un extrait d’une vidéo présentée lors de l’expérience avec peu de points de transitions – Copyright D.Stawarczyk

« Les points de transition perçus par le cerveau entre deux activités au cours d’une même tâche semblent ainsi recentrer l’attention du participant et donc moduler le vagabondage de nos pensées. »

Rester concentrer, un processus qui s’apprend

Dans le cadre de son nouveau mandat au FNRS, David Stawarczyk poursuivra ses recherches sur la dynamique de ces sautes d’attention. A terme, il compte fournir des pistes pour optimiser ce phénomène cognitif. Car si « être dans la lune » de temps en temps est non seulement normal, et potentiellement utile à l’être humain, cela peut aussi entraîner des conséquences négatives.

« Les ressources attentionnelles sont, en effet, perdues, car réorientées vers la planification de choses futures, ce qui entraîne une baisse de la performance durant l’activité en cours ». Dans le cas où on réalise une action qui demande toute notre attention, comme conduire ou tailler une haie, vagabonder dans nos pensées peut s’avérer dangereux.

Selon le chercheur, il est pourtant possible de minimiser cette errance mentale, en gérant mieux sa fatigue et son stress, par exemple. « Mieux organiser son emploi du temps en terminant le travail qu’on a commencé peut aider. Dans le cas contraire, il y a de grandes chances que le cerveau se focalise sur cette tâche inachevée, et non sur l’instant présent. Il existe par ailleurs des techniques de méditation qui peuvent aider les personnes à mieux repérer ces épisodes de vagabondage de l’esprit, et ainsi rediriger leur attention vers l’activité en cours », conclut le chercheur.

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