Les dérèglements climatiques impactent les océans en les réchauffant. Cette hausse de température induit une diminution de la solubilité de l’oxygène. Mais aussi un déficit de brassage de l’eau. La conjugaison de ces deux phénomènes explique en grande partie la désoxygénation de l’océan mondial.
L’océan étouffe, de même que les lacs et autres réservoirs d’eau douce. Face à ce constat, et après avoir établi un lien entre la désoxygénation aquatique et la stabilité générale des systèmes terrestres, une équipe de recherche internationale, dont fait partie Pre Marilaure Grégoire, directrice de la Freshwater and OCeanic science Unit of reSearch (FOCUS) de l’ULiège, propose d’inclure la désoxygénation aquatique comme dixième limite planétaire.
Déclin accéléré d’oxygène
Le volume total d’oxygène dans l’océan mondial, dans les couches situées entre 100 et 1.000 mètres de profondeur, a diminué de 2% depuis 1950. Autrement dit, ce sont 100 milliards de tonnes d’oxygène qui ont été perdues en 75 ans.
« 2 %, c’est une moyenne, certaines régions en ont perdu bien davantage, de l’ordre de 7 %. Notamment celles déjà très pauvres en oxygène de manière naturelle. On les trouve essentiellement dans l’océan équatorial et tropical pacifique, mais aussi au large de la côte africaine, au niveau de la Namibie », explique Pre Marilaure Grégoire.
« Cette extension des zones pauvres en oxygène impacte l’habitat des poissons. En général, ils délaissent ces secteurs pour d’autres mieux oxygénés. Autrement dit, ils se rapprochent de la surface et s’y concentrent. Et cela les rend davantage vulnérables aux pêcheries. »
La côte, un écosystème particulièrement touché
Au niveau des zones côtières, à la problématique du réchauffement de l’eau, s’ajoute celle de l’eutrophisation. Les cours d’eau y amènent massivement des nutriments (nitrates, phosphates), provoquant un bloom, c’est-à-dire une prolifération massive d’algues. A leur mort, celles-ci sédimentent sur les fonds marins où elles sont dégradées par des bactéries. Cet apport important de matière organique provoque une multiplication considérable des bactéries qui consomment massivement l’oxygène de cette strate. Sans brassage dans la colonne d’eau, pas d’apport d’oxygène. La concentration d’oxygène chute vertigineusement, pour parfois atteindre des seuils catastrophiques.
« Ce phénomène pourrait être l’un des plus dangereux pour la biodiversité. Plusieurs jours ou semaines sans oxygène, c’est dramatique pour les organismes qui y vivent. Surtout s’ils sont peu ou pas mobiles et dépendants de grandes quantités d’oxygène tels que les crustacés et les mollusques. »
Emballement généralisé
Lorsqu’il n’y a plus d’oxygène à consommer pour dégrader la matière organique, les bactéries se tournent alors vers les nitrates et entament le processus de dénitrification. « A grande échelle, cela perturbera à la fois les cycles globaux de l’azote et du phosphore. Et altérera significativement l’équilibre biogéochimique du système Terre. C’est-à-dire l’atmosphère, l’environnement, etc. »
« A cela, s’ajoutent les problèmes de boucle de rétroaction : une cause engendre un processus qui amplifie la cause, qui va réamplifier le processus, qui va réamplifier la cause, etc. Ces feedbacks peuvent accélérer la déstabilisation du système Terre et lui faire quitter son état d’équilibre. »
Un exemple? Dans les zones côtières touchées par l’hypoxie, le sédiment relargue le phosphore qui, normalement, reste piégé dans des ions complexes. Il se retrouve alors dans la colonne d’eau. Agent d’eutrophisation, il va alors réintensifier la prolifération d’algues, qui elles-mêmes vont générer de la matière organique qui va couler dans le fond. Pour la dégrader, les bactéries vont consommer l’oxygène déjà déficitaire, favorisant la libération du phosphore. Qui alimentera une nouvelle prolifération d’algues, etc.
Un seuil à ne pas dépasser
Un scénario de film catastrophe qu’il serait pourtant possible d’éviter. En effet, « nos travaux de modélisation montrent que si on respectait les accords de Paris, si on diminuait drastiquement les émissions de gaz à effet de serre, la désoxygénation aquatique s’arrêterait », assure Pre Marilaure Grégoire.
Avec ses collègues, elle prône pour que la désoxygénation aquatique soit reconnue comme 10e limite planétaire. Au même titre que le changement climatique, la perte de biodiversité, la perturbation du cycle de l’azote, la perturbation du cycle du phosphore, la pollution chimique, la destruction de la couche d’ozone, l’acidification des océans, la quantité d’aérosols dans l’atmosphère, l’utilisation des sols et l’eau douce. Pour chacune de ces limites planétaires, des seuils à ne pas dépasser ont été définis.
Cette reconnaissance devrait permettre de soutenir et d’orienter, au niveau mondial, les efforts de monitoring, de recherche et de politique afin d’éviter la destruction des écosystèmes aquatiques. Et par là, se garder d’amener le système Terre vers un nouvel état non désirable pour l’humanité.